Xavier Lépine (Ieif) : « La problématique du logement exige de nouveaux modèles financiers »

26/04/2021 - source : Profession CGP

Alors que les politiques menées depuis vingt ans ne parviennent pas à enrayer la pénurie de logements et la hausse des prix, il devient urgent de changer de paradigme et de réintroduire la finance dans la construction de la ville. L’analyse de Xavier Lépine, président de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière.

Profession CGP : A quelles problématiques aujourd’hui se heurte la ville en termes de logement ?

Xavier Lépine : Avez-vous remarqué qu’à la différence des siècles précédents, les immeubles les plus beaux sont aujourd’hui les immeubles de bureaux, et non plus les habitations ? Dépourvus de caractéristiques esthétiques affirmées, les logements ne sont plus les vitrines du style de l’époque. C’est un choix de société troublant.

La ville est en réalité confrontée à des problématiques complexes concernant le logement. Or jusqu’à présent, les solutions ont été recherchées sans déployer une véritable vision holistique, pourtant indispensable. Que s’est-il passé ? Depuis une quarantaine d’années, l’urbanisation s’est accélérée. Une concentration qui a fait du foncier un bien rare, avec pour corollaire l’augmentation des prix. La résultante de cette urbanisation est une pénurie criante de logements dans les zones tendues. La construction n’a suivi ni la croissance de la population (0,8 % par an en France depuis trente ans), ni l’évolution de la société (allongement de la durée de la vie, augmentation du nombre de divorce…) : la demande de logements croît d’environ 1 à 1,2 % par an. Cinq cent mille nouveaux logements seraient nécessaires chaque année, or la France peine à en produire quatre cent mille depuis plusieurs décennies. Ce déficit entretient l’augmentation des prix. La baisse des taux concourt également à cette hausse des prix.

 

PCGP : Comment en est-on arrivé là ?

X. L. : Les effets de bord des décisions politiques participent de ces dysfonctionnements. Les lois de décentralisation, en confiant aux maires le pouvoir d’accorder les permis de construire, leur ont conféré la possibilité de refuser l’implantation de logements dans leur ville, au profit du bureau, plus intéressant financièrement et électoralement. La loi SRU, en imposant à certaines communes des quotas de logements sociaux – donc peu, voire pas rentables – en reporte le coût sur les logements non sociaux, et contribue paradoxalement au ralentissement de la production d’habitations et à l’augmentation des prix. Pour contrer des loyers en hausse, le gouvernement parfois les plafonne. Résultat : le logement est devenu un actif cher, peu rentable, mais dont la production ne se justifie que s’il est rare, voire en pénurie, car alors les prix montent. Un actif dont les institutionnels se sont par conséquent désengagés depuis plus de vingt ans, lui préférant le bureau dont les rendements s’avéraient deux fois supérieurs… sans gestion locative contraignante.

Face à la désertion des institutionnels, les pouvoirs publics ont incité les particuliers à investir dans la construction de logements, via des dispositifs fiscaux… tout en se plaignant que les Français n’investissent que dans l’immobilier ! Une situation ubuesque… Concrètement, 60 % de l’immobilier (constructions et terrains) est détenu par les ménages, 24 % par les investisseurs institutionnels et propriétaires occupant leurs immeubles d’exploitation et 15 % par les administrations publiques. Les banques n’en possèdent que 3 %. La capitalisation de l’immobilier représente 5,6 fois le PIB 2019, soit 12 000 milliards d’euros… contre moins de 2 000 milliards pour le Cac 40 (lui-même détenu à 40 % par des non-résidents français). Et pourtant les logements manquent ! Que vaut cette richesse si elle n’est pas productive économiquement et socialement ?

 

PCGP : Quelle est aujourd’hui la place de la finance dans la construction de la ville ?

X. L. : Contrairement à la plupart des pays développés, la France n’a pas de foncière investissant exclusivement dans le logement. La gestion du locataire est trop dissuasive, le rendement trop faible, la fiscalité (TVA) de la production dissuasive hormis pour les résidences gérées. Le secteur de la production de logements s’est donc organisé sans le monde de la finance. Et cette séparation entre finance d’un côté et immobilier de l’autre est une lourde erreur.

La production de logements s’effectuant sans le concours des institutionnels, les promoteurs construisent avec la participation des particuliers. Le promoteur immobilise le moins de fonds propres possibles, soit environ 10 % du coût de l’opération, et, dès le permis de construire obtenu, vend en Vefa à des particuliers, qu’il s’agisse d’utilisateurs ou d’investisseurs personnes privées. Le solde est financé par un emprunt bancaire.

Au bout de cinq ans, une fois le programme terminé, le profit du promoteur atteint 8 à 10 % nets (entre le prix de vente et le prix de revient total), une marge qui n’est pas considérable compte tenu des risques pris et qui implique de ne pas se tromper dans l’estimation des coûts, les délais de construction et les prix de vente. Mais rapporté à 10 % de fonds propres, le rendement atteint 80 à 100 % sur cinq ans. Le promoteur n’a donc intérêt ni à laisser un institutionnel capter ce profit, ni – et c’est tout le paradoxe – à voir les chantiers se multiplier ce qui induirait une baisse des prix : son modèle financier est porté par la rareté.

 

PCGP : Peut-on encore espérer renverser la situation ?

X. L. : Les conditions actuelles sont favorables pour réintroduire la finance au cœur de la ville. Plusieurs indicateurs montrent qu’il y a un alignement de planètes pour construire collectivement la ville durable.

A commencer par des taux d’intérêt durablement bas. Aujourd’hui, tous les pays s’endettent pour affronter la crise de la Covid-19. L’orthodoxie des banques centrales est suspendue : les taux d’intérêt devront rester très bas à long terme afin de rendre la dette financièrement acceptable. Le coût du capital devient donc extrêmement faible et le logement plus simple à financer.

Par ailleurs, les capitaux à déployer sont considérables. L’immobilier de logement, actif tangible et moins volatil que les valeurs mobilières, séduit. Et la faiblesse de son rendement locatif devient relative face à des taux de dette d’Etat proches de zéro pour cent.

Enfin, l’usage du bureau évolue et la crise accélère, là aussi, une tendance de fond. Une étude de l’Ieif montre que, sur les nombreuses entreprises qui comptent généraliser un jour de télétravail par semaine, 75 % ne modifieront pas leur emprise de bureaux, alors que 25 % la réduiront. Celles qui passeront à deux jours de télétravail envisagent une réduction sensible de l’emprise de bureau et l’instauration du flex-office.

Finalement, la demande de bureau devrait baisser de 6 à 7 % sur les dix ans qui viennent, soit 3 millions de mètres carrés vides en région parisienne qui viendront s’ajouter aux 3,8 millions de mètres carrés déjà actuellement vacants. Les actifs bien placés, neufs ou restructurés ne rencontreront pas de difficulté. Pour les autres, les années à venir s’annoncent plus compliquées. Les investisseurs seront confrontés à un marché à deux vitesses délicat à appréhender. Les bureaux vides leur coûteront cher, les bureaux pleins réclameront des baisses de loyer…

Parallèlement, avec le développement du télétravail, les actifs de logements vont prendre de l’importance, nécessitant le développement de programmes, la transformation d’actifs existants… Cela implique de nouveaux modèles financiers.

 

PCGP : Quels modèles financiers novateurs permettraient de promouvoir un logement de qualité ?

X. L. : Même s’il n’y a pas de solution miracle pour sortir de ces problématiques issues de quarante ans de politique de construction de la ville, plusieurs modèles peuvent se concevoir. La première idée serait de faire détenir les logements par les institutionnels. Avec la difficulté de déterminer qui les fabrique. Car les promoteurs n’ont pas les moyens de changer leur mode de fonctionnement : ils ont besoin de vendre les biens à l’unité, avec la marge qui va avec, et non en bloc au prix de gros qui pourrait être attractif pour un investisseur institutionnel qui doit attendre des années avant que les loyers ne soient encaissés (temps de construction). Un autre modèle consiste à créer des foncières de production et de détention de logements, capables de financer la production des logements de qualité destinés à la location et dont elles conservent durablement la propriété. Ces foncières, cotées ou non, pourraient se développer avec des capitaux privés.

Reste le problème de l’acquisition du logement. Etre propriétaire permet de satisfaire trois fonctions : habiter, préparer la retraite et transmettre. Etre locataire ne répond qu’à la première. Mais pour les générations montantes, accéder à la propriété est devenu extrêmement complexe.

Différentes solutions peuvent traiter cette problématique. Par exemple le modèle du crédit suédois, qui consiste à ne rembourser que la moitié du capital sur vingt ans, les intérêts qui courent sur la moitié du capital restant dû à partir de la vingtième année étant l’équivalent d’un petit loyer. Le solde du capital est remboursé lors de la vente du bien, voir transmis avec le bien lors de sa cession. L’économie qui en découle (50 % du capital emprunté) peut être placée dans des fonds de pension afin de financer la retraite. Bien sûr, pour que ce système fonctionne, il faut construire, sans quoi les prix montent, tout simplement.

Autre idée : le bail réel solidaire (BRS), qui dissocie le foncier du bâti, afin de faire baisser le coût d’acquisition du logement. Le principe pour le particulier consiste à n’acquérir que les murs d’un bien neuf, tout en louant la quote-part de terrain correspondant à un organisme foncier solidaire (OFS) qui en est propriétaire. Ce système permet de réduire le prix d’acquisition de 30 % environ. Il ne convient toutefois qu’au logement social, seul capable d’en neutraliser l’effet d’aubaine.

La location-accession, portée par In’li, la filiale d’Action logement, repose également sur une idée intéressante. Le particulier, locataire-accédant, verse chaque mois au propriétaire une redevance, composée en réalité du loyer normal, la fraction A, et d’une fraction B, librement déterminée, qui anticipe une accession future. Au bout de cinq ou dix ans, le particulier peut lever son option afin d’acquérir le logement à son prix d’origine. Il n’a plus de loyer à payer, mais fait un emprunt et utilise les fonds de la fraction B à titre d’apport. S’il ne souhaite pas acheter, cette épargne lui est rendue. Ce système reste lui aussi réservé au secteur social et n’a pas d’intérêt pour un investisseur qui, de fait, s’est engagé en T0 à vendre le bien, si l’acquéreur le souhaite, au prix d’origine cinq ou dix ans plus tard.

Enfin, le système d’emphytéose sur cinquante ans me semble particulièrement intéressant à explorer. Le concept repose sur une propriété totale, mais temporaire, assortie d’une décote d’environ 30 %. L’achat à crédit sur vingt-cinq ans revient à débourser une somme équivalente à un loyer, avec de surcroît l’avantage du taux fixe (par rapport à un loyer qui subit l’inflation). A l’échéance du crédit, l’acquéreur n’a plus de charges à régler autres que les charges courantes. S’il est toujours en vie au terme des cinquante ans, il peut demeurer dans le logement.

En revanche, s’il est décédé, le propriétaire – par exemple une foncière – récupère gratuitement le bien ; il n’y a pas de transmission possible. S’il décède avant les cinquante ans de propriété, ses héritiers conservent la propriété jusqu’au terme des cinquante ans d’origine. Il est toutefois exceptionnel aujourd’hui de rester cinquante ans dans le même appartement. Un déménagement intervient en moyenne au bout de huit à dix ans dans les zones tendues (travail, composition de la famille, revenus qui changent). Le particulier revend alors le logement à la foncière, mais sur la base de son prix d’acquisition moins 2 % par année de détention (puisqu’il n’a acheté que cinquante ans de propriété), soit 80 % de l’investissement initial pour une revente à dix ans. Il ne profite donc d’aucune plus-value éventuelle et revend même moins cher que le prix d’achat (alternativement, il peut racheter au prix du marché du jour la quote-part du logement qu’il n’avait pas acheté à l’origine et bénéficiait alors de la plus-value sur cette quote-part). Mais parce qu’il a déjà remboursé une partie de son crédit, il peut encaisser la différence entre le prix de vente et le remboursement du principal restant dû de l’emprunt, soit, dans cet exemple, l’équivalent de près de 40 % du loyer qu’il aurait payé sur la période s’il était resté locataire. Pour un coût mensuel comparable au loyer qu’il aurait versé à fonds perdu, il se constitue donc une épargne significative, un apport qui pourra lui permettre d’acheter en pleine propriété son logement ultérieur. En face, le propriétaire d’origine ne perçoit pas de loyer pendant dix ans. Mais lorsqu’il rachète les 70 % cédés à l’origine avec une décote de 2 % par an, il perçoit un rendement de 6 à 7 % sur les capitaux investis, à comparer aux 3,5 % du locatif classique, et sans même tenir compte de l’augmentation des prix.

 

PCGP : Quelle place pour les investisseurs particuliers ?

X. L. : L’investisseur privé pourrait acquérir un bien via l’emphytéose sans l’occuper afin de le mettre en location. En ne mettant que 10 % et en empruntant 90 % à crédit à vingt-cinq ans, les flux de loyers et de remboursement s’équilibrent, et comme il peut revendre à tout moment à un prix garanti convenu d’avance, sur la base d’un loyer de 3 %, il peut générer un taux de rendement de 6 à 7 % sur dix ans. La solution de l’emphytéose pourrait également être mise en place dans le cadre d’une foncière, amorcée par des institutionnels mais détenue ensuite par des investisseurs privés, séduits par ce sujet porteur de sens. Nul besoin ici d’avantage fiscal car le montage est nativement rentable.

Ces solutions d’innovation financière ne sont certainement pas exhaustives, mais ouvrent un champ de possibilités. Elles présentent l’avantage de ne pas nécessiter de financements de l’Etat, ni de modifications du droit français, celui-ci autorisant déjà ces dispositifs. La circonstance de taux d’intérêt très bas sur le long terme permet des montages financiers qui n’auraient pas été viables avec des taux à 5 %.

A l’heure où le modèle de la SCPI de bureau est questionné, il faut inviter les CGP à se tourner vers le logement. Or redonner une nouvelle vie à l’investissement résidentiel ne se fera pas avec les outils anciens… Et cela sans attendre de subventions de l’Etat ou que les prix de l’immobilier continuent de monter pour que l’investissement soit rentable.