Anticiper la cession de sa société

01/12/2020 - source : Investissement Conseils

Problématique cruciale pour le dirigeant d’entreprise, la stratégie de cession de sa société nécessite d’être organisée bien en amont de la vente. Avec en filigrane des réflexions sur le régime matrimonial, la transmission du patrimoine, la fiscalité, les besoins financiers, les envies professionnelles... Nos conseils pour optimiser cette opération.

Céder sa société : une étape importante pour le chef d’entreprise, qui bouleverse sa vie, la structuration de son patrimoine, conditionne son avenir et celui de sa famille. « Il s’agit de transformer une activité professionnelle en patrimoine liquide », note Jean-Maximilien Vancayezeele, directeur général délégué du groupe Crystal. « Le dirigeant qui souhaite vendre sa société doit se projeter bien avant de celui démarrer l'opération », prévient Grégory Lecler, président de Prudentia Patrimoine.En commençant par s’interroger sur ses objectifs futurs, tant personnels que familiaux et financiers. Poursuivra-t-il ou non l’activité ? Souhaite-t-il transmettre ? Quels seront ses besoins en termes de financement du niveau de vie ? Car une fois la transaction engagée, il sera alors trop tard pour agir efficacement.

Apport des titres à la communautéPremière étape avant de vendre ou de donner : faire le point sur son régime matrimonial, afin de déterminer si les titres de la société constituent un bien propre du dirigeant ou un bien commun. « Si les titres de la société ne sont pas des biens communs se pose la question de l’intérêt de leur mise en communauté avant leur cession afin d’accroître la protection du conjoint survivant en cas de prédécès du dirigeant, ou au contraire de les conserver propres afin de faciliter la mise en place d’un pacte Dutreil réputé acquis, explique Rosa Riche,responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Cholet Dupont. Cet apport en communauté constitue une opération intercalaire, non génératrice de taxation. » De plus, en termes de transmission, il va sans dire que si l’entreprise constitue un bien de communauté, le nombre de donateurs et, en conséquence, les avantages fiscaux sont doublés.

Attention aux donations avec réserve d’usufruit« Car le dirigeant peut profiter de la cession de sa société pour gratifier ses héritiers et anticiper l’impôt sur la succession », signale Mélanie Collu, directrice de l’ingénierie patrimoniale du groupe Crystal.Un sujet capital qui soulève de nombreuses questions:quand donner ? Avant ou après la vente ? Avec ou sans réserve d’usufruit ? Sans oublier de prendre en compte les libéralités déjà consenties aux enfants dans le passé. « Une décision de la Cour de cassation du 11 mai 2016 a permis d’attirer l’attention des professionnels sur l’impact du régime communautaire lors de la donation de titres communs avec constitution d'une réserve d’usufruit par les donateurs, relate Rosa Riche. Dans cette situation, chaque époux est cotitulaire de l’usufruit et détient l’usufruit de la moitié de chaque part. Au décès du premier des époux, le survivant aura la qualité d’usufruitier sur 50 % de chacune des parts; il se trouvera donc en situation d’indivision sur l'usufruit avec ses enfants. Afin d’éviter cette situation, une solution consiste à stipuler dans l’acte de donation que l’usufruit réservé par le survivant des époux donateurs s’éteindra au décès du premier des époux. En contrepartie, chacun des époux donateurs constitue un usufruit successif portant sur l'intégralité du bien donné au profit de l’autre et jusqu’au décès de celui-ci. Une manière pour l'époux survivant de rester usufruitier de 100% du bien donné jusqu'à son propre décès. » Si les époux étaient mariés en séparation de biens et que le dirigeant apporte les titres à la communauté, la stratégie consistera à insérer une clause de préciput portant notamment sur l’usufruit ouvert sur la tête du conjoint survivant, puis, au moment de la donation, à constituer un usufruit successif au profit de son conjoint, de façon à ce que le survivant dispose de 100 % de l’usufruit sur les biens donnés.

Donation partielle des titres avant la venteLa donation avant cession est une stratégie patrimoniale fréquemment utilisée par les chefs d’entreprise souhaitant céder leur société à un tiers, tout en anticipant la transmission de leur patrimoine à leurs héritiers. Le principe ? Faire précéder de peu la cession des titres par leur donation afin d’en purger la plusvalue latente : en effet, les titres n’auront pas eu le temps de prendre de valeur entre la donation et la vente. « Il importe de bien respecter le timing afin de ne pas risquer une requalification du fisc », avertit Mélanie Collu.Il est fréquent que la donation ne porte que sur une partie des titres de la société à ses enfants, le donateur se réservant l’usufruit des titres. « Attention dans ce cas au futur remploi des fonds », prévient Mélanie Collu.« La donation peut également s’effectuer bien en amont de la vente, avec pour avantage des droits de donation d’autant plus faibles que la société n 'aura pas atteint son plein potentiel et que les donateurs seront jeunes, signale Rosa Riche. Les enfants seront, en revanche, redevables d’un impôt sur une plus-value plus importante, qu'ils peuvent toutefois atténuer en supportant eux-mêmes les droits de donation. »Donation avec pacte DutreilEn anticipant encore plus la donation, il est possible de bénéficier du régime fiscal dit du pacte Dutreil. « Un mécanisme particulièrement favorable, juge Grégory Lecler. Il permet de réduire l’assiette des droits de donation de 75 %. Il suppose cependant de disposer d’au moins six ans avant la vente de la société, puisqu’il est conditionné par la signature d’un engagement collectif de deux ans minimum, puis par le respect de quatre années d'engagement individuel de conservation par les donataires. » Dans certaines circonstances, l’engagement collectif peut toutefois être réputé acquis, ce qui réduit le délai à quatre ans.« S’agissant du pacte réputé acquis, lorsque les enfants ne sont pas en mesure d’exercer une fonction de direction, l’idée peut être de donner également des titres au conjoint non commun en biens, voire à un tiers, par exemple un cadre de la société, susceptible d’exercer une fonction de direction (la donation-partage de l’entreprise le permet). La transformation de la société peut alors s’avérer nécessaire, d’une Sari vers une SAS ou une SA », confie Rosa Riche.La mise en place d’un pacte Dutreil est complexe et implique de respecter de nombreuses conditions. Les dirigeants se rapprocheront d’un professionnel du droit et de la fiscalité pour optimiser sa mise en oeuvre.Quoi qu’il en soit, les opérations de donation-cession appellent différents points de vigilance (attention à la surévaluation des titres, à ce que la donation soit bien antérieure à la vente, à la répartition du prix de vente en cas de donation avec réserve d'usufruit, à l'intérêt ou non de mettre la charge des droits de donation sur les donataires, etc.).

Apport à une holding à l’ISLe dirigeant s’interrogera également sur ses besoins financiers futurs et ses envies professionnelles afin d’optimiser en conséquence la cession de la société, et définir notamment la part de patrimoine qu’il souhaite récupérer immédiatement. Car un chef d’entreprise qui envisage de céder des titres dispose d’une alternative à leur cession directe:l’apport-cession. Ce mécanisme régi par l’article 150-0 B ter du CGI, consiste en un apport préalable des titres concernés à une société holding, préexistante ou constituée ad hoc, afin que cette dernière procède, immédiatement ou à brève échéance, à leur cession. « Cet enchaînement présente un double avantage, détaille Rosa Riche. Premièrement : s’il contrôle la société auprès de laquelle il réalise l’apport, l’apporteur bénéfice d’un différé d’imposition de l’éventuelle plus-value constatée à cette occasion. L’opération d'apport est donc neutre au plan fiscal, mais l'imposition n’est que reportée. Deuxièmement, la cession des titres apportés par la holding bénéficiaire de l’apport ne génère, en principe, aucune imposition à son niveau. En effet, le prix de cession des titres est généralement identique à leur valeur d’apport, compte tenu du court délai existant entre ces deux opérations, de sorte qu’aucune plus-value imposable ne devrait être constatée au niveau de la société holding cédante. L’opération de cession peut donc également être neutre au plan fiscal pour la société bénéficiaire de l’apport.»La société encaisse ainsi sans fiscalité 100 % du cash. « La holding patrimoniale est un outil majeur pour la cession d'entreprise, confirme Jean-Maximilien Vancayezeele. Le montage peut paraître complexe, mais il se réalise très bien et l’instauration de la Fiat Tax facilite encore les choses. » La plus-value d’apport est cependant imposée entre les mains de l’apporteur, soit au jour de la cession des titres de la holding, soit au jour où la holding revend les titres de la société qui lui ont été apportés, si cette cession a lieu dans les trois ans de l’apport. « Toutefois, l’impôt sur la plus-value d'apport n'est pas dû si la holding réinvestit au moins 60 % du prix de cession dans des activités éligibles », précise Mélanie Collu. Si le dirigeant ne souhaite pas développer une nouvelle activité économique, l’idéal demeure de réaliser l'apport au moins trois ans avant toute cession, de manière à ce que la holding dispose d’une totale liberté de réinvestissement du prix de vente. Bien sûr, en contrepartie, si les titres apportés à la holding prennent de la valeur entre la date de l’apport et celle de la cession, la plus-value subira l’impôt sur les sociétés (IS) au sein de la holding. « Cette imposition devrait cependant rester limitée, puisqu’elle devrait bénéficier du régime mère-fille qui impose, notamment, que la holding détienne les titres depuis plus de deux ans », signale Rosa Riche. «A condition de le prévoir en amont, le dirigeant peut aussi programmer de poursuivre son activité les trois années qui suivent l’apport des titres et jusqu'à la cession, soit le temps nécessaire pour éviter l’imposition de la plus-value d’apport », remarque Grégory Lecler.« Cette holding constitue une tirelire, un véritable outil pour gérer le patrimoine, se réjouit Mélanie Collu. Des calculs précis permettent de décider la meilleure manière d’en sortir les fonds dont le dirigeant aurait besoin, sachant que distribuer des dividendes implique de générer du résultat. Or la holding n 'en a pas forcément. Il faudra donc arbitrer sur les placements réalisés. Rappelons que dans le cadre du 150-0 B ter, la holding peut investir librement à hauteur de 40 %,par exemple en SCPI, en contrat de capitalisation, etc. En fonction de ses besoins personnels (achat d’une résidence secondaire, nouvelle activité professionnelle, etc.), le chef d’entreprise peut aussi choisir de limiter l’apportcession à la holding et de céder une part du patrimoine en direct, part sur laquelle il acceptera de payer l’impôt de plus-value (qui n ’a jamais été aussi bas !), afin de disposer librement des fruits de cession. »Combiner apport à holding et donation des titres de la holdingEtape suivante:combiner l’apport à la holding avec la transmission des titres de la holding aux enfants. «La transmission aux enfants par décès du dirigeant ou par donation des parts de la holding purge la plus-value latente sur les parts de la société, précise Grégory Lecler. Le schéma est donc particulièrement intéressant.»Les législateurs ont toutefois prévu un dispositif anti-abus, afin que la plusvalue en report ne puisse être annulée par le jeu d’une opération de donation suivie d’une cession:le report de plusvalue est transféré sur la tête du donataire qui contrôle désormais la holding. Charge à lui de respecter les conditions fiscales pour ne pas remettre en cause ce report (absence de cession dans les trois ans de l’apport, le cas échéant réinvestissement à 60 % minimum dans des participations éligibles et respect des durées de conservation). A défaut, le report d’imposition prend fin. « De plus, le donataire doit conserver les titres de la holding au moins cinq ans pour que la plus-value en report se trouve définitivement exonérée. Un nouveau délai instauré depuis le 1"janvier 2020, contre dix-huit mois auparavant », ajoute Grégory Lecler.Cette durée de conservation est portée à dix ans lorsque les titres apportés à la holding ont été cédés par cette dernière et que le prix de cession fait l’objet d’un réinvestissement indirect dans des parts de fonds (FCPR..« Lorsque la donation aux enfants précède de peu leur apport à holding qu’ils contrôlent, aucune plus-value n 'est générée par les donataires en pleine propriété. Il n ’y a donc pas de sujet de plus-value en report d'imposition, ni d'obligation de réinvestissement, même si la holding cède les titres moins de trois ans après l’apport », remarque Rosa Riche.L’apport de titres, dont seule la nue-propriété a été donnée, entraîne une plus-value en report d’imposition au titre de l’usufruit. Pour que cette plus-value ne génère pas de contraintes de réinvestissements, la cession des titres par la holding devra intervenir plus de trois ans après l’apport.Une stratégie aussi intéressante que complexe donc, assortie de nombreux points de vigilance. Et si un pacte Dutreil s’y greffe, cela complique encore un peu plus l’opération !Abattements pour cession en directSolution alternative ou complémentaire au 150-0 B ter, le dirigeant qui part en retraite peut bénéficier d’un abattement sur la plus-value générée par les titres de sa société qu’il céderait en direct. « Pour les cessions à titre onéreux réalisées entre le 1"janvier 2018 et le 31 décembre 2022, les dirigeants peuvent, sous conditions de détention et d’exercice de la fonction de direction notamment, bénéficier d’un abattement fixe de 500000 € sur les plus-values de cession de titres réalisées à l'occasion de leur départ à la retraite. Le cédant doit cesser toute fonction au sein de cette société et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession des titres. La cession doit porter sur au moins 50 % des droits de vote. L’option pour cet abattement implique une taxation de la plusvalue de cession à la Fiat Tax, mais attention, sur les 30 % de PFU, les prélèvements sociaux ne bénéficient pas de l’abattement », indique Grégory Lecler. L’abattement fixe n’est plus cumulable avec l'abattement proportionnel de droit commun ou renforcé pour durée de détention, applicable aux titres acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2018. Cet abattement pour durée de détention implique la taxation de la plus-value au barème progressif de l’IR (CGI, article 150-0d, 1 ter).« La stratégie retenue pour la cession d’entreprise combine finalement souvent un mix de solutions, conclut Mélanie Collu. Il peut aussi être nécessaire de restructurer le groupe en amont, pour faciliter la vente... En fonction du cahier des charges du dirigeant, le conseil adaptera donc le niveau de chaque mécanisme avant cession. » Un seul mot d’ordre donc : anticiper !

❚ Elisa Nolet

Astuce pacte DutreilLa donation en pleine propriété, au bénéfice du dispositif Dutreil, par un donateur âgé de moins de 70 ans, permet de bénéficier de l’abattement de 75 % du Dutreil et d’une réduction de droits de donation de 50 %.

Holding : régime mère-filleLes plus-values sur titres de participation sont exonérées d’impôt sur les sociétés dans la société cédante. Mais une quotepart de frais et charges de 12 % doit être réintégrée dans le résultat de celle-ci. Sont présumés être des titres de participation, les titres représentant au moins 10 % du capital d’une entreprise. L’exonération n’est définitivement acquise que si les titres sont détenus pendant au moins deux ans.

Imposition des dividendes en SAS et en SARLAbattement pour durée de détention de droit commun :- titres détenus entre 2 ans et 8 ans : 50 %;- titres détenus depuis au moins 8 ans : 65 %.

Abattement pour durée de détention renforcé (PME créées depuis moins de dix ans lors de l’acquisition des titres) :- titres détenus depuis moins de 4 ans : 50 %;- titres détenus entre 4 et 8 ans : 65 %;- titres détenus depuis plus de 8 ans : 85 %.