Clause bénéficiaire : la transmission sur mesure

01/07/2022 - source : Investissement Conseils

Ce rouage essentiel de tout contrat d’assurance vie reste mal exploité par la plupart des épargnants. Arrêtons-nous sur quelques questions-clés pour optimiser cet outil de transmission aux multiples facettes.

Clause bénéficiaire la transmission sur mesureQui voulez-vous gratifier à votre décès ?» Quiconque a souscrit une assurance-vie devrait se poser cette question. Et pour cause, en cas de décès, le capital en compte sera transmis aux personnes désignées dans la clause bénéficiaire du (des) contrat(s), le tout sans passer par la case succession et en profitant d’une fiscalité favorable. C’est là le point de départ de toute réflexion sur la rédaction de la clause bénéficiaire. Une réflexion qui s’effectue en amont de la souscription de l’assurance-vie, la clause bénéficiaire au fil des années pouvant être modifiée à tout moment. Pour baliser le terrain, tous les assureurs ont inclus dans leurs contrats une clause standard. Mais rien n’interdit de s’en affranchir, puisque hormis pour les mineurs et majeurs incapables, la liberté de désignation est quasi illimitée. Partant de là, « il faut au préalable se poser les bonnes questions, conseille Benoît Berchebru, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Nortia. La clause type désigne le conjoint comme premier bénéficiaire. Mais est-ce adapté à ma situation ? Dans mon couple, a-t-on fait une donation au dernier vivant ? Dans ce cas, mon conjoint aura-t-il vraiment besoin de 100 % du capital ? Pourquoi le surprotéger ? Pour bâtir une clause bénéficiaire optimale, il faut commencer par là. On met à plat son patrimoine, sa situation familiale, les dispositions déjà prises et ses souhaits. Avec un champ des possibles très large, la clause bénéficiaire permettra de répondre à quasiment toutes les situations. D’où l’importance de s’en préoccuper à l’ouverture du contrat, mais aussi de la revoir régulièrement. L’accompagnement d’un conseiller patrimonial est alors fortement recommandé.» Le cadre est posé. Ajoutons la nécessité d’être au clair sur la réglementation fiscale quant au sort des capitaux-décès. Sans oublier que sur un plan civil, l’assurance-vie est hors succession (articles L. 132-12 et L. 132-13 du code des assurances), sauf cas de « primes exagérées ».

Que vaut la clause standard ?Tout contrat d’assurance-vie contient une clause type indiquant : « A mon décès, le capital sera versé à mon conjoint, à défaut mes enfants, nés ou à naître, vivants ou représentés, par parts égales entre eux, à défaut mes héritiers ». Si elle est cochée, le capital sera payé dans cet ordre à la mort de l’assuré. « A priori, la clause standard convient à la grande majorité des situations, indique Carole Dambrun, directrice de l’ingénierie patrimoniale chez Linxea. Pourtant, quand on creuse, la rédaction de cette clause pourrait être améliorée. Et pour cause, le conjoint survivant reçoit un capital dont il sera exonéré de fiscalité, quel que soit son montant, et dans bien des cas le replacera passé soixante-dix ans, ce qui est moins favorable. » Sur un plan civil, lors du partage de l’actif successoral, les droits du conjoint sont déjà étendus, avec au choix l’usufruit de la totalité des biens existants ou le quart en pleine propriété. L’assurance-vie permettra toutefois d’augmenter cette part du conjoint en pleine propriété, le capital reçu étant juridiquement un bien propre. Pour autant, « n’est-il pas préférable dès le premier décès dans un couple de laisser un peu du capital aux enfants, au moins pour payer les droits de succession éventuels ? questionne Carole Dambrun.Il faut au moins se poser cette question, sachant qu’il est assez simple d’aménager une clause bénéficiaire en ce sens. On peut aussi aller plus loin en conseillant certaines options dans la rédaction de cette clause, notamment pour permettre l’exercice de la renonciation au capital par un bénéficiaire. En effet, si le conjoint renonce au contrat, le capital va en totalité aux seconds bénéficiaires, les enfants le plus souvent. Mais si un enfant veut alors renoncer pour ses propres enfants, le capital ne leur sera pas attribué, mais reviendra aux bénéficiaires de même rang. C’est pourquoi il faut personnaliser l’option de renonciation dans la rédaction de la clause bénéficiaire, en indiquant à qui reviendra le capital en cas d’exercice de cette faculté. » Bref, la clause standard devra être reformulée pour être optimisée, voire écartée d’emblée dans certaines situations. Pour Delphine Pasquier, directrice du développement de Prepar-Vie, « force est de constater que la clause bénéficiaire standard est de moins en moins adaptée, ne serait-ce parce qu’elle exclut de fait les partenaires de Pacs et les concubins de son périmètre. Le développement des familles recomposées change aussi la donne». Pour les personnes pacsées, il faudra ainsi écrire une clause indiquant comme premier bénéficiaire « la personne avec qui j’ai conclu un pacte civil de solidarité en vigueur au moment du décès ». Pour gratifier des tiers, il est aussi impératif d’éviter la clause type pour une formulation libre avec le souci de la précision dans sa rédaction.

Nom ou qualité ?Tout dépend. Les deux solutions sont autorisées par le Code des assurances pour désigner le bénéficiaire d’une assurance-vie. En pratique, l’avis des pros diverge sensiblement.Pour Benoît Berchebru, « mieux vaut éviter les clauses désignant les personnes par leur qualité. C’est certes plus simple, mais les inconvénients sont nombreux, notamment dans le cas de familles recomposées. Il est plus judicieux de recourir à une désignation nominative, qui permet de mettre un visage sur chaque bénéficiaire. Nommer directement les personnes permettra aussi à l’assureur d’aller plus vite pour régler les capitaux-décès. On écrira le nom et prénom du bénéficiaire, sa date de naissance et lieux de naissance, voire son adresse postale, autant d’éléments qui permettent une identification, voire une recherche, plus rapide ». Ajoutons le numéro de Sécurité sociale comme élément d’identification solide.Avec une désignation nominative, il faudra toutefois actualiser la clause dans le temps si besoin. Par exemple en cas de divorce, conserver une désignation nominative conduira au paiement du capital à son ex-conjoint. La désignation par qualité en précisant « mon conjoint non séparé de corps et non divorcé » ou « mon conjoint non engagé dans une procédure de divorce ou de séparation de corps » évite cet écueil, puisque «l ’assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l’exigibilité » (article L. 132-8 du Code des assurances). Concernant les enfants et petits-enfants, opter pour une désignation nominative imposera à chaque naissance la réactualisation de la désignation, si le but est de gratifier tous ses descendants. La désignation « mes enfants, nés ou à naître, vivants ou représentés, par parts égales entre eux, à défaut…» est alors plus simple. Quoi qu’il en soit, mieux vaut éviter de combiner identité et qualité dans la clause bénéficiaire, car si les deux ne coïncident plus au jour du décès de l’assuré, l’assureur ne pourra pas trancher. Et dès lors que le bénéficiaire n’est pas identifiable par une qualité, ou que cette dernière est trop vague, il faut évidemment indiquer son identité précise. Par exemple, Madame X, retraitée divorcée, veut gratifier son neveu Jean Y. Elle pourrait écrire sa clause ainsi : « mon neveu Jean Y, né le… à…, vivant à…, dont le numéro de Sécurité sociale est…, à défaut mes héritiers. » En matière de clause bénéficiaire, la finalité est que la personne soit identifiable par l’assureur au jour du décès. Un neveu peut l’être. Mais sera-t-il le seul ayant cette qualité au décès de Madame X ? Mieux vaut le désigner nominativement pour éviter tout litige en cas de présence d’un autre neveu. Il en irait de même pour toute personne tierce.

Indiquer des montants ? Des pourcentages ?Outre désigner les personnes qui percevront le capital, la clause bénéficiaire peut inclure les modalités de sa répartition. On pourra user de montants en euros, par exemple « 100 000 euros pour mon conjoint, 50 000 euros par parts égales pour mes enfants…», ou de pourcentages, par exemple, « 50 % du capital pour mon conjoint, 25 % pour chacun de mes deux enfants…». Autant de formules séduisantes sur le papier, mais à manier avec vigilance.Pour Sophie Nouy, directrice du pôle expertise patrimoniale chez Cyrus Conseil, « il faut faire preuve de beaucoup de prudence avec les clauses indiquant des montants en euros. D’abord, parce que les situations évoluent au fil des années et que ces montants ne seront plus forcément adaptés au jour du décès. C’est donc beaucoup moins souple qu’une répartition du capital par parts égales, par exemple. Ensuite, il faudra absolument qu’au jour du décès, le capital en compte sur le contrat soit suffisant, c’est-à-dire supérieur à ce qu’on veut attribuer. Si j’indique dans la clause “ 100 000 euros pour chacun de mes trois petits-enfants, à défaut mes héritiers ” et que le contrat vaut 250 000 euros à mon décès, l’assureur ne voudra pas partager en trois le capital et affectera les sommes aux héritiers, qui sont peut-être le conjoint, les enfants, par exemple, mais pas forcément les bénéficiaires ! » Bien souvent, l’assuré souhaite gratifier ses enfants de manière égalitaire. Une formule y répond efficacement : « mes enfants, nés ou à naître, par parts égales entre eux, en cas de prédécès ou de renonciation de l’un d’eux, ses propres enfants vivants ou représentés pour sa part, à défaut mes héritiers ». Ainsi, tous les enfants seront bénéficiaires du capital dans une stricte égalité. A noter : la mention « par parts égales entre eux»est placée dès le départ, pour éviter toute incertitude sur son application. Et la renonciation est prévue, permettant à un enfant de se désister au profit de ses propres enfants.

Quand utiliser la clause démembrée ?Le démembrement de la clause bénéficiaire est à réserver à des patrimoines conséquents. Expliquons. Il s’agit de prévoir que le capital versé par l’assureur au décès de l’assuré reviendra à deux bénéficiaires distincts, en usufruit pour l’un et en nue-propriété pour l’autre. La configuration la plus fréquente consiste à désigner son conjoint comme usufruitier et ses enfants comme nues-propriétaires. Mais il est aussi possible d’imaginer les enfants usufruitiers et les petits-enfants nues-propriétaires. « Ce type de clause s’est fortement standardisé ces dernières années, commente Sophie Nouy. Et pour cause, le démembrement de la clause bénéficiaire permet de protéger efficacement son conjoint, en lui apportant un capital financier qu’il pourra utiliser via une convention de quasi-usufruit, tout en préparant la transmission du patrimoine à ses enfants qui seront titulaires d’une créance en restitution lors de la succession de l’usufruitier. L’enjeu est essentiellement fiscal. Au décès de l’assuré, la fiscalité et les abattements sont répartis entre le conjoint usufruitier et le nu-propriétaire selon le barème du CGI. Rappelons que le conjoint ou partenaire pacsé sont exonérés de prélèvement pour les versements avant soixante-dix ans et de droits de mutation pour les primes versées après soixante-dix ans. Bien sûr, l’enfant(s) nu-propriétaire devra s’acquitter de droits de mutation liés à la valeur de la nue-propriété, alors qu’il ne reçoit rien, les capitaux revenant à l’usufruitier. Mais il peut être prévu que ces droits soient à la charge de l’usufruitier. Surtout, au décès de ce dernier, le nu-propriétaire disposera d’une créance de restitution sur la succession, non soumise aux droits de succession. » Le terrain est toutefois glissant, avec des règles différentes passé soixante-dix ans (article 757B du CGI). C’est pourquoi la clause bénéficiaire démembrée demande beaucoup de vigilance dans sa rédaction, voire l’appui d’un conseiller patrimonial. Il faut aussi sécuriser le mécanisme. Il est recommandé de rédiger une convention de quasi-usufruit chez son notaire pour déterminer le montant de la créance de restitution et lui donner une date certaine. Autre piste : assortir la transmission au conjoint d’une clause de remploi des capitaux perçus pour éviter leur dilapidation, par exemple sur un contrat de capitalisation (placement très proche de l’assurance-vie). Via une convention de démembrement, l’usufruitier pourrait alors y faire des retraits à hauteur des intérêts du contrat, préservant la valeur du capital. Enfin, « la clause démembrée est intéressante si l’écart d’âge entre l’usufruitier et le(s) nu(s)-propriétaire(s) est important, conclut Sophie Nouy. Et il faut l’éviter dans le cadre de familles recomposées. »La clause à options est-elle risquée ? Donner au bénéficiaire de premier rang la liberté de choisir de recevoir tout ou partie des capitaux, et par ricochet, de laisser aux bénéficiaires suivants le reliquat. Telle est le principe des clauses dites à options ou à tiroirs.Au préalable, il faut rappeler que la renonciation d’un bénéficiaire à toucher le capital est possible, même quand elle n’est pas expressément formulée dans la clause bénéficiaire. Mais dans ce cas, celui qui renonce ne pourra choisir au profit de qui. Mieux vaut donc rédiger la clause précisément. Par exemple : « Mon épouse pourra à son choix accepter le bénéfice selon les quotités suivantes : 100 %, 75 %, 50 %, 25 %. Elle devra faire connaître à la compagnie d’assurances dans un délai maximum de quatre mois à compter du jour de mon décès la quotité retenue. Si elle retient une quotité inférieure à 100 % du bénéfice, la fraction non acceptée par elle bénéficiera à mes enfants, vivants ou représentés, par parts égales. Dans le cas du prédécès de mon épouse, le capital reviendra à mes enfants, vivants ou représentés, par parts égales. A défaut, à mes héritiers. » Dans cet exemple, tout est envisagé en quelques lignes. Et le choix est donné au conjoint survivant, qui sera sans doute le plus à même d’apprécier l’intérêt de la famille et des héritiers d’une façon générale lors de l’exigibilité du capital. En pratique, nombre d’assureurs refusent pour l’heure ce type de clause, jugée trop complexe et portant un risque juridique, avec une mise à mal du principe de la stipulation pour autrui. « La frilosité de certains assureurs sur les clauses à options ou à tiroirs n’est pas fondée, souligne Benoît Berchebru. Sur le plan fiscal, leur validité n’est pas contestée depuis la réponse ministérielle Malhuret du 22 septembre 2016 (réponse ministérielle n° 18026 : JO Sénat, 22 septembre 2016, p. 4058). L’administration fiscale admet sans équivoque que le bénéficiaire, en général le conjoint, ait la possibilité de choisir entre percevoir l’intégralité des capitaux-décès ou seulement une partie, le solde étant partagé avec les bénéficiaires de second rang, en général les enfants. Il n’y a là aucune donation déguisée qui serait taxable aux droits de mutation, y compris en cas de démembrement. Sur le plan civil, à condition de bien rédiger la clause, sans donner trop de choix au bénéficiaire de premier rang, les inquiétudes sont aussi infondées. Aucune jurisprudence n’est venue contrecarrer les clauses à options sur ce terrain. Nous utilisons fréquemment les clauses à options, mais pour éviter les refus d’enregistrement des assureurs, elles sont déposées chez le notaire. » Le débat est ouvert. Pour Delphine Pasquier, il faut toutefois faire « attention aux clauses trop complexes, non gérables par l’assureur, même s’il est conseillé d’envisager certaines situations, comme la renonciation au capital par un bénéficiaire ». Que faire, alors ? « Disposer de plusieurs contrats attribués à des bénéficiaires différents, plutôt qu’un seul contrat avec une clause à multiples options, est une alternative à creuser. Dans tous les cas, il faut se montrer précis dans la rédaction, pour lever toute ambiguïté sur le versement des capitaux et éviter les problèmes de famille. »Quid des clauses avec charges ? Sur le papier, il est possible d’envisager des conditions liées à la perception des capitaux-décès. Ainsi l’assuré peut désigner son neveu X, indiquant « à charge pour lui de réemployer le capital perçu sur une assurance-vie, à défaut mes héritiers » ou encore « ma fille Y pour la totalité du capital à la condition que celui-ci soit converti en rente viagère certaine d’une durée de dix ans ». La clause bénéficiaire peut encore prévoir que l’argent servira à payer les droits de succession : « les bénéficiaires s’engagent à utiliser le capital pour régler les droits de succession dus aux décès de l’assuré ». Est-il possible de rendre le bénéficiaire débiteur de charges ? Oui selon la Cour de cassation, qui indique que le bénéficiaire peut être tenu à certaines obligations, à condition toutefois que ces dernières soient limitées et en aucun cas immorales ou illicites.Dans les faits, cette pratique est assez illusoire. En effet, qui ira vérifier l’exécution de la clause bénéficiaire ? Pas l’assureur, qui se contente d’enregistrer la clause bénéficiaire et de payer le capital au décès. Le notaire sera alors sollicité, mais par qui au juste ? Autre écueil : cette solution pourra être source de conflits pour les bénéficiaires, notamment si des conditions ou charges trop strictes sont imposées. Attention enfin à ne pas confondre la mise en place de charges avec un possible blocage des fonds (jusqu’à dix-huit ou vingt-cinq ans) dans le cadre d’une transmission à des mineurs. Pour les parents ayant un enfant handicapé, il sera possible d’introduire dans la clause bénéficiaire des conditions d’utilisation des fonds, notamment une transformation du capital en rente viagère. Les parents, ayant plusieurs enfants dont un souffrant d’un handicap, peuvent aussi recourir à une clause bénéficiaire démembrée. L’usufruit serait pour leur enfant handicapé, la nue-propriété pour la fratrie (ou d’autres personnes).

Quand et comment revoir sa clause bénéficiaire ?Une clause bénéficiaire est tout sauf figée, ce qui en fait sa force principale. Elle peut ainsi être mise en adéquation au fil du temps avec la situation de l’épargnant. Ce que confirme Sophie Nouy : « il est fortement conseillé de revoir la clause bénéficiaire de ses différents contrats d’assurance-vie régulièrement. Un rendez-vous tous les dix ans, et mieux tous les cinq ans, est nécessaire. Et en tout état de cause dès qu’un changement important s’est produit dans sa vie. Les situations familiales et professionnelles évoluent, la taille du patrimoine aussi, tout comme les projets. La valeur du contrat va aussi sans doute grossir dans le temps. La clause bénéficiaire n’est en rien figée, il est possible de la modifier librement, sauf cas improbable aujourd’hui de son acceptation par le bénéficiaire, autant en profiter pour qu’elle colle au mieux à ses aspirations. » Le modus operandi, maintenant. Possible à tout moment, cette modification ne doit pas suivre un formalisme spécifique. Il suffira que l’assureur reconnaisse l’enregistrement de la clause modifiée, annulant de fait l’ancienne. Courrier écrit, demande en ligne (si permise par l’assureur), transmission via son conseiller… tout est permis. Et pour cause, selon les conclusions de la Cour de Cassation (2e civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954), « l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque et que l’assureur en a eu connaissance ». Et « cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du Code civil, soit par voie testamentaire. » Selon un autre arrêt de la Cour de Cassation, datant du 10 mars dernier (n° 20-19.655), est confirmée la validité du testament modifiant le bénéficiaire du contrat même non porté à la connaissance de l’assureur.

Informer les bénéficiaires ou le notaire ?Sur le plan pratique, les professionnels n’y sont plus vraiment opposés, le problème du bénéficiaire « acceptant » ayant été levé depuis quinze ans déjà. Informé qu’un contrat lui est destiné, un bénéficiaire sera plus à même d’agir rapidement auprès de l’assureur pour exiger le paiement des capitaux. On parle ici du ou des bénéficiaires de premier rang, principalement le conjoint et les enfants. Néanmoins, la question d’informer ou non le(s) bénéficiaire(s) reste épineuse. Certes, ne pas le faire, notamment quand il s’agit de personnes tierces, revient à prendre le risque qu’elles ne réclament pas leur dû.Certains conseillers patrimoniaux invitent toutefois les épargnants à rester discrets sur la désignation des bénéficiaires de leur(s) contrat(s) pour deux raisons. Primo, pour éviter des problèmes d’entente entre les héritiers au décès, si certains ont été davantage gratifiés que d’autres. Secundo, parce que l’assurance-vie doit rester une variable d’ajustement du patrimoine jusqu’au décès, tant pour consommer le capital que changer le(s) bénéficiaire(s) désigné(s). Une alternative pratique sera d’indiquer à ses proches où sont conservés les documents adéquats (contrats d’assurance-vie individuels, retraite, collectifs), sans pour autant révéler en amont qui est bénéficiaire de quoi.Autre possibilité : recourir à un notaire. On déposera alors la clause bénéficiaire au sein d’un testament, cet écrit codifiant les dernières volontés. Cette option permet en prime de réfléchir à l’organisation et à la répartition générale de son patrimoine. C’est aussi un gage de confidentialité, puisque le choix du bénéficiaire reste « secret » jusqu’à l’ouverture du testament. En pratique, le notaire est ainsi informé de l’existence du (des) contrat. Et l’assureur est, lui, averti par la clause suivante : « selon le testament enregistré chez Maître X, notaire à Y…».

Ces autres placements concernésLa problématique de la clause bénéficiaire ne se limite pas aux contrats d’assurance-vie individuels du marché. Bien d’autres enveloppes sont soumises aux mêmes règles juridico-fiscales. Sont d’abord concernées les assurances temporaires décès et obsèques. Il s’agit là de produits de prévoyance, dont le montant du capital est prédéfini, mais pour lesquels il est possible d’envisager des clauses bénéficiaires autres que la clause type proposée. Autre cas : celui des produits d’épargne-retraite. Le PER, mais aussi les ex-Perp et contrats Madelin, sont concernés au premier chef. Il s’avère que le PER est un outil de premier plan pour optimiser la fiscalité sur la transmission, avec la déduction des cotisations à l’entrée et de fortes exonérations en sortie sur les capitaux-décès. Reste le cas des contrats collectifs d’entreprise de prévoyance (assurance-décès) ou de retraite (contrats ex-article 83, notamment). La clause standard y est souvent cochée, faute d’implication des salariés. Autant de produits pour lesquels il faut se soucier du contenu de la clause bénéficiaire.

ASSU 853 01Ces bénéficiaires qui s’ignorentDeux à quatre milliards d’euros dormiraient encore chez les assureurs, faute d’avoir été réclamés par leurs bénéficiaires. Certes, la situation des contrats en déshérence s’améliore, les assureurs étant légalement soumis à des obligations de recherche. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) constate toutefois de lourdes défaillances, avec de récentes sanctions contre des assureurs ou filiales de groupes financiers (récemment, Mutex, MGEN et une filiale du groupe BPCE) sur ce sujet. Pour les bénéficiaires, que faire ? Quiconque pensant être bénéficiaire d’une assurance-vie doit solliciter l’Association pour la gestion des informations sur le risque en assurance (Agira), chargé d’organiser la recherche de contrats d’assurance-vie non réclamés. Les formalités sont limitées à l’envoi d’une lettre simple avec extrait de l’acte de décès de l’assuré. Pour ceux qui se réveillent plusieurs années après la mort d’un proche, ou qui viennent d’apprendre l’existence d’un vieux contrat tombé dans l’oubli, une recherche gratuite sur le site Ciclade.fr peut être effectuée. Dernier point : la déshérence des capitaux ne se limite pas à l’assurance-vie stricto sensu, mais intègre les contrats retraite, les produits collectifs d’entreprise (prévoyance et retraite), les assurances-décès individuelles, celles liées aux cartes bancaires, etc.

Clause bénéficiaire la transmission sur mesure 02Clause démembrée : cas pratique (1)Agés de 71 ans chacun, Monsieur et Madame C sont mariés sous le régime de la séparation de biens. Ils ont deux enfants de 45 et 50 ans. Monsieur C avait souscrit et alimenté un contrat avant ses 70 ans, qui vaut maintenant 1 million d’euros. Souhaitant protéger son épouse dont la retraite est insuffisante, il a rédigé une clause bénéficiaire démembrée en quasi-usufruit au conjoint en lieu et place de la clause standard. Monsieur C décède. La valeur de l’usufruit (71 ans) est à cet âge de 30 %, soit 300 000 €. Le conjoint survivant est exonéré de droits sur cette somme. La valeur de nue-propriété est donc de 70 %, soit 350 000 € par enfant.Il faut calculer l’abattement par nu-propriétaire:152 500 € x 70 % = 106 750 €. La base taxable par nu-propriétaire est alors de 350 000 -106 750 = 243 250 €. Quel impôt paiera chaque enfant ? 243 250 x 20 % = 48 650 €. La prise en charge des droits du nu-propriétaire par l’usufruitier aura pu être prévue dans la clause bénéficiaire. Au décès de Madame C, prenons l’hypothèse que l’actif de succession est de 1,2 million d’euros. La créance de succession de 1 million d’euros est inscrite au passif, réduisant l’actif successoral à 1 million d’euros. La masse taxable pour les enfants est alors nulle. L’économie par rapport à une clause bénéficiaire standard est d’environ 200 000 €. 1. Données fournies par Cyrus Conseil.

Le cas des mineurs et majeurs incapablesEspace de liberté, la clause bénéficiaire l’est moins pour deux catégories de souscripteurs. Les enfants mineurs, d’abord. Conformément au Code civil (article 903), un mineur ne peut « disposer » à titre gratuit. Dès lors, la clause sera automatiquement : « mes héritiers légaux » ou « mes héritiers selon la dévolution successorale », c’est-à-dire ses parents dans la majorité des situations. A sa majorité, l’enfant pourra modifier la clause de son contrat. Les majeurs incapables, ensuite. Selon l’article L. 132-4-1 du Code des assurances, « lorsqu’une tutelle a été ouverte à l’égard du stipulant, la souscription ou le rachat d’un contrat d’assurance sur la vie, ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire ne peuvent être accomplis qu’avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué. » Les assureurs redoublent de prudence sur ce terrain avec une interrogation clé:la rédaction et/ou la modification de la clause bénéficiaire est-elle la traduction d’une volonté réelle et éclairée du souscripteur du contrat, ou doit-on y voir l’influence de personnes de l’entourage du majeur qui profitent de son état de vulnérabilité et de dépendance ?

Clause bénéficiaire la transmission sur mesure 03Acceptation du bénéficiaire : quand y songer ?Depuis 2007, le bénéficiaire peut accepter le bénéficie du contrat d’assurance-vie du vivant de l’assuré, uniquement après accord du souscripteur du contrat. Ce qui reviendra alors à empêcher toute modification de la clause (mais aussi rachat) sans l’accord du bénéficiaire acceptant. Ce procédé est aujourd’hui rarement utilisé. Toutefois, « l’acceptation par le bénéficiaire peut être utilisée à bon escient dans certaines situations précises, reconnaît Benoît Berchebru. Par exemple, dans les familles recomposées où le couple se marie sous un régime de communauté universelle. Dans une telle situation, au décès d’un conjoint, les enfants du premier lit n’auront rien. Pour leur faire accepter la stratégie matrimoniale, le parent souscrit une assurance-vie, désigne les enfants du premier lit bénéficiaires, avec une acceptation à la clé. Dès lors, ces derniers seront certains, sauf à donner leur accord, que le capital leur reviendra au décès du parent. »

Clause bénéficiaire la transmission sur mesure 03La transmission généreuseFiscalement, toute somme léguée à une association d’utilité publique est exonérée de droits de mutation, conformément à l’article 795 du Code général des impôts. Les moyens de gratifier une structure à son décès sont le legs dans un testament ou sa désignation comme bénéficiaire d’une assurance-vie. Quel que soit le choix, la règle fiscale est la même. Sur le plan civil, l’assurance-vie présente l’intérêt d’éviter les règles contraignantes de la succession. Et sauf abus, de gratifier la fondation ou association de son choix. Attention, quelques précautions sont à prendre. Il faut s’assurer que l’association est apte à recevoir cette libéralité (par exemple, pour les associations à caractère sportif, culturel, éducatif, etc., elles doivent être déclarées depuis au moins trois ans). Ensuite, il faudra rédiger convenablement la clause bénéficiaire, en indiquant précisément la dénomination de l’association et en ajoutant l’adresse de son siège. Il est aussi possible de spécifier que le capital transmis soit utilisé à une action particulière, comme à l’occasion d’un don. Début juin, France assureurs a signé avec France générosités un partenariat destiné à « faciliter la désignation des organismes à but non lucratif comme bénéficiaires de contrats d’assurance-vie ». Un guide pratique, recensant l’ensemble des règles à respecter quant à la désignation du bénéficiaire d’un contrat, a été rédigé à cet effet.