ETHENEA - L’exercice d’équilibriste des banques centrales

08/12/2022 - source : Patrimoine 24

- Scénario de base d’un ralentissement marqué de la conjoncture mondiale qui entraînera quelques trimestres de croissance négative suivis d’une expansion économique modeste.- L’inflation globale atteindra son point culminant. Toutefois, l’inflation sous-jacente se maintiendra durablement à un niveau élevé et ne commencera à redescendre progressivement vers les valeurs cibles des banques centrales qu’en 2024.- L’inflation élevée, la politique restrictive et l’incertitude forte limiteront fortement la croissance mondiale en 2023.- Les banques centrales ralentiront le rythme de resserrement monétaire, mais continueront de relever les taux et maintiendront durablement une politique restrictive afin de faire reculer l’inflation.- Le contexte sera délicat pour les responsables des banques centrales avec un risque accru pour la stabilité financière et un risque d’erreurs de politique.

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Perspectives mondiales

Le ralentissement de l’activité économique mondiale se généralise tandis que la pression sur les prix de l’inflation globale s’étend à l’inflation sous-jacente. L’inflation élevée, le resserrement monétaire et l’incertitude générale assombrissent les perspectives économiques. Nous observons une grande différence entre les données économiques réelles qui pointent des économies toujours solides et les indicateurs avancés en recul depuis plusieurs mois qui annoncent que les grandes économies avancées pourraient déjà être entrées en phase de contraction.

Après avoir agressivement resserré leur politique monétaire dans l’optique de freiner la demande globale, les banques centrales ont commencé à réduire l’ampleur des relèvements de taux. Dans de nombreuses régions, l’inflation globale pourrait prochainement atteindre son point culminant grâce au recul des prix de l’énergie et des matières premières, à l’apaisement des tensions d’approvisionnement et au ralentissement conjoncturel mondial. L’inflation s’est toutefois généralisée et menace de se renforcer dans des domaines critiques tels que les salaires, les loyers et les prix des services. Les banques centrales devraient donc garder la tête froide au niveau de leur politique monétaire pour continuer de freiner l’inflation sans attiser les anticipations d’inflation.

Les prévisions de croissance pour l’économie mondiale ont déjà été revues plusieurs fois à la baisse, tandis que les anticipations d’inflation ont augmenté. Le FMI attend une croissance mondiale de 3,2 % pour 2022 et de 2,7 % pour 2023, mettant en garde contre le risque de récession. De nouvelles révisions à la baisse ne sont pas à exclure. Chiffrée à 8,8 % en 2022, l’inflation se maintiendra durablement à un niveau élevé et reculera à 6,5 % en 2023.

Une situation variable d’une région à l’autre

Alors que le ralentissement conjoncturel et le resserrement monétaire suivent une évolution synchrone à l’échelle mondiale (à quelques exceptions notables près), les perspectives économiques et la dynamique de l’inflation varient d’un pays et d’une région à l’autre.

États-Unis

L’économie américaine a rebondi au troisième trimestre et devrait poursuivre sur sa lancée au quatrième trimestre. Les données conjoncturelles sont hétérogènes, mais annoncent une dynamique en recul. Le pays connaît une situation de plein emploi, les salaires augmentent à un rythme raisonnable face à des revenus et à des dépenses solides. Toutefois, les indicateurs avancés pointent une possible contraction imminente de l’économie américaine. L’inflation globale a vraisemblablement atteint son point culminant, mais le niveau élevé de l’emploi continue d’alimenter la demande privée et l’inflation sous-jacente.

La Fed a relevé son taux directeur de 3,75 % au total dans le cadre du resserrement agressif de sa politique monétaire. Pour éviter d’étouffer la croissance, la Fed réduira le rythme de relèvement de ses taux. Le resserrement monétaire de la Fed produit déjà ses effets, mais avant de restaurer la stabilité des prix, encore faudra-t-il que la demande globale soit considérablement limitée et que le chômage augmente. La Fed continuera à durcir sa politique et les taux d’intérêt se maintiendront durablement à un niveau élevé.

Compte tenu de l’effet différé de la politique monétaire, nous prévoyons un ralentissement sensible de la conjoncture. Mais en optant pour un relèvement brutal et massif de ses taux, la Fed a gagné du temps et s’est dégagé une marge de manœuvre politique. La Fed semble mieux placée que les autres banques centrales pour contrôler l’évolution économique et l’inflation, et peut compter sur la résistance de l’économie et la solidité de l’emploi.

Zone euro

L’économie de la zone euro souffre d’une inflation historiquement élevée, d’une croissance fragile et de la pénurie d’énergie. L’Europe a été durement touchée par la guerre en Ukraine, les sanctions et les perturbations des échanges qui ont suivi, et reste particulièrement vulnérable à l’évolution des marchés de l’énergie.

Après avoir rebondi en été, la conjoncture ralentit tandis que le secteur industriel souffre des prix élevés de l’énergie et de la baisse de la demande mondiale. Les enquêtes conjoncturelles évoluent à la baisse depuis plusieurs mois. Le marché de l’emploi est en bonne forme, mais la confiance des consommateurs est ébranlée par le recul sensible du revenu disponible réel. Malgré les récentes améliorations sur le front de l’énergie et le soutien budgétaire solide, une récession technique semble très vraisemblable cet hiver.

L’inflation se généralise et s’enracine. Après avoir subi une hausse globale de 2 %, le taux directeur de la BCE, actuellement de 1,5 %, n’est pas encore suffisamment restrictif. Malgré la détermination affichée par la BCE de faire redescendre l’inflation au niveau cible, la dégradation rapide de la situation économique dans la zone euro et les tensions politiques pourraient contraindre la BCE à ralentir le rythme du resserrement monétaire. La politique budgétaire est toujours plus expansionniste, mais face à l’inflation élevée et au risque de récession, le scénario de stagflation problématique de 2022 pourrait perdurer.

Chine

Le 20ème Congrès national du Parti communiste chinois a reconduit Xi Jinping dans ses fonctions de Président pour un troisième mandat de cinq ans. Dans le cadre de ce nouveau mandat, Xi Jinping cherchera à garder le pouvoir, se concentrera sur la sécurité nationale, visera l’autarcie économique et technologique et conservera une attitude ferme vis-à-vis de l’Occident.

L’économie chinoise ralentit depuis un certain temps, sous l’effet du durcissement réglementaire, des multiples foyers de pandémie et des mesures de confinement strictes imposées dans les grandes régions économiques. L’économie a rebondi au troisième trimestre grâce au soutien politique et à la reprise de l’offre. Mais la consommation intérieure reste morose et la croissance du crédit est faible compte tenu des restrictions liées à la pandémie et de la hausse du chômage.

Le surinvestissement et le surendettement ont plongé le secteur immobilier dans une crise profonde. Une politique accommodante continuera de stimuler la croissance et le gouvernement a commencé à infléchir sa politique « zéro Covid ». D’autres mesures d’assouplissement des restrictions sanitaires et de soutien politique seront nécessaires en 2023 afin de relancer une économie pénalisée par un endettement excessif et une demande chinoise et internationale fragile.

Où va l’économie mondiale en 2023 ?

L’économie mondiale va au-devant d’une période très incertaine, d’où la difficulté d’émettre quelque prévision que ce soit. Les perspectives de 2023 dépendront en grande partie de l’évolution de l’inflation, de la capacité de résistance des économies et de la façon dont les banques centrales organiseront leurs mesures macroéconomiques.

La pression accrue sur les prix reste la principale menace pour l’économie mondiale. L’inflation globale mondiale devrait atteindre son point culminant, mais l’inflation se renforce, sachant que les prix des services, les loyers et les salaires pourraient continuer d’augmenter et rester à ce niveau élevé plus longtemps que prévu.

Plusieurs banques centrales ont annoncé qu’elles ralentiraient le rythme de resserrement monétaire ou qu’elles l’ont déjà fait afin de pouvoir prendre la pleine mesure de leurs mesures précédentes sur l’économie. La politique monétaire devrait rester restrictive afin de restaurer la stabilité des prix d’une part, et ne de pas attiser les anticipations d’inflation d’autre part. La politique budgétaire devrait prévoir des allègements afin d’amortir les effets de la hausse des prix. Mais elle ne devrait pas aller à l’encontre de la politique monétaire et chercher à réduire progressivement la charge de la dette. Dans l’ensemble, le risque d’erreurs de politique a fortement augmenté. Les banques centrales risquent d’en faire trop ou pas assez. Un resserrement excessif pourrait plonger l’économie mondiale dans une profonde récession ou déclencher une crise financière tandis qu’un resserrement insuffisant pourrait renforcer l’inflation, désancrer les anticipations d’inflation et entraîner une hausse des coûts futurs pour la lutte contre l’inflation. Les banques centrales veilleront à éviter une récession. Malgré tout, nous pensons qu’elles auront tendance à suivre la voie du resserrement excessif dans l’optique de maîtriser l’inflation.

Les considérations concernant la stabilité financière pourraient influencer les décisions de politique monétaire. En effet, la longue période de taux ultra-bas a conduit les investisseurs, mus par l’appât du gain, à injecter des fonds empruntés dans les classes d’actifs les plus risquées afin de démultiplier les gains potentiels. Un durcissement rapide et brutal de la politique monétaire fait courir de graves risques à la stabilité financière des marchés. Une grave perte de stabilité pourrait contraindre les banques centrales à changer de cap de manière précipitée, ce qui serait tout sauf bénéfique pour l’économie mondiale.

Dans la mesure où la politique monétaire agit avec un temps de retard, le plein effet des hausses de taux agressives se déploiera dans les trimestres à venir. La croissance mondiale continuera de ralentir en 2023, freinée par l’inflation élevée, la politique économique restrictive et l’incertitude. Le ralentissement mondial synchrone, l’endettement élevé et la politique restrictive ne permettent pas actuellement de prédire d’où pourraient venir les impulsions d’une reprise robuste.

Notre scénario de base pour 2023

Selon nous, l’inflation sous-jacente n’évoluera que très lentement en direction des cibles à moyen terme des banques centrales. Compte tenu de l’inflation élevée et de la politique monétaire restrictive, l’économie mondiale devrait entrer en légère récession avec quelques trimestres de croissance négative (récession technique), suivis d’une période de croissance faible qui sera freinée par l’inflation persistante et le resserrement monétaire.

Toutefois, il y aura des différences considérables d’une région à l’autre. La zone euro et le Royaume-Uni pourraient déjà être en récession, tandis que les États-Unis pourraient y échapper de justesse, selon ce que décidera la Fed. La croissance de la Chine dépendra en grande partie de l’assouplissement des restrictions sanitaires et de la capacité du pays à surmonter la crise du marché immobilier. Les pays émergents en Asie et en Amérique latine semblent avoir maîtrisé les risques inflationnistes et pourraient soutenir la croissance mondiale en 2023.

Les risques de récession profonde nous semblent limités, dans la mesure où les marchés de l’emploi restent solides, que les bilans des consommateurs et des entreprises sont sains, que les banques sont en bien meilleure forme qu’après la crise financière mondiale et que les banques centrales procèderont avec prudence afin d’éviter un recul brutal de la performance économique.

Risques pour le scénario de base

Ce scénario comporte plusieurs risques baissiers. Un désancrage des anticipations d’inflation pourrait contraindre les banques centrales à resserrer les rênes monétaires. Les conditions tendues sur les marchés financiers pourraient déclencher une crise de la stabilité financière ou une crise dans les pays émergents. De grossières erreurs de politique macroéconomique ou de nouvelles crises géopolitiques pourraient faire basculer l’économie mondiale dans une récession plus profonde et plus durable.

Mais ce scénario comporte aussi quelques risques haussiers. Une résolution rapide de la guerre en Ukraine avec à la clé un apaisement de la crise énergétique en Europe et des tensions géopolitiques ainsi que la décision de la Chine d’assouplir progressivement sa politique « zéro Covid » pourraient entraîner une reprise économique plus rapide et plus forte en 2023.

Dr. Andrea Siviero, INVESTMENT STRATEGIST

 

 

 

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