La rémunération du gérant de la société civile

31/01/2022 - source : Profession CGP

Article extrait du mémento Sociétés civiles 2022 paru aux éditions Francis Lefebvre

Les fonctions de gérant de la société civile peuvent être exercées gratuitement ou moyennant rémunération. Dans ce cas, la rémunération est fixée par les statuts ou par une décision des associés, et son régime fiscal diffère selon la qualité du gérant.

Le Code civil ne contient aucune disposition relative à la rémunération des gérants. Les statuts (ou la décision de nomination du gérant) peuvent donc soit préciser le mode de calcul de cette rémunération (traitement fixe, proportionnel aux bénéfices ou au chiffre d’affaires, ou mixte), soit en laisser le soin à une décision collective des associés prise à la majorité qu’ils déterminent.

Détermination de la rémunération du gérant

Dans ce dernier cas, le gérant, s’il est associé, peut prendre part au vote, mais il ne doit alors pas, surtout s’il est associé majoritaire, abuser de son droit de vote en s’octroyant une rémunération exagérée (pour une illustration, Cass. com., 1er juillet 2003, n° 1077 : RJDA 11/03 n° 1074, 1er esp.). Le refus d’un associé de voter la rémunération d’un coassocié gérant ne doit pas non plus être abusif. L’abus n’est caractérisé que si l’attitude de l’associé non gérant a été contraire à l’intérêt de la société en interdisant la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci (Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-11.860 : RJDA 6/09 n° 548, à propos d’un gérant de Sarl mais transposable).

En l’absence de fixation de la rémunération par les associés, le gérant ne peut pas demander au juge de condamner la société à lui en verser une (Cass. com., 14 novembre 2006, n° 1244 : RJDA 8-9/07 n° 856 ; CA Paris, 24 novembre 2009, n° 08-18780 : RJDA 5/10 n° 529, concernant des Sarl mais transposables ; en sens contraire, CA Versailles, 22 octobre 2009, n° 08-2252 : RJDA 4/10 n° 397, à propos d’un président de société par actions simplifiée unipersonnelle mais transposable). En effet, il n’appartient pas au juge de se substituer aux associés et ce, même si le refus de voter la rémunération est abusif (Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-11.860, précité ; Cass. com., 17 décembre 2013, n° 12-27.213 : RJDA 4/14 n° 354, à propos d’un président de société par actions simplifiée mais transposable). A notre avis, le gérant peut seulement agir en responsabilité contre la société en démontrant que la décision des associés est fautive et lui cause un préjudice.

Une fois la rémunération fixée, la société ne peut pas la réduire rétroactivement sans l’accord du gérant, même si les sommes dues au titre de cette rémunération n’ont pas encore été payées (Cass. com., 10 février 2009, n° 08-12.564 : RJDA 10/09 n° 848, rendu pour des membres du directoire de société anonyme mais transposable).

Gratuité des fonctions de gérant

Les statuts peuvent prévoir que les fonctions des gérants seront gratuites ; ce cas se rencontre fréquemment dans les sociétés civiles peu importantes dont la gestion ne nécessite qu’une activité réduite (par exemple, société civile familiale ayant pour unique objet la gestion d’un immeuble). Jugé que le fait d’être gérant bénévole de sociétés civiles n’implique pas nécessairement et en soi l’exercice d’une activité professionnelle interdisant la recherche effective et permanente d’emploi (Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 4499 : RJS 12/98 n° 1562).

Nature et régime fiscal de la rémunération du gérant

La rémunération du gérant n’est pas un salaire. En conséquence, le gérant ne peut pas se prévaloir du privilège des salariés (CA Paris, 23 février 1978 : BRDA 20/78 p. 18). En outre, les dispositions du Code du travail limitant la saisissabilité des salaires ne sont pas applicables à la rémunération versée au gérant pour l’exercice de ses fonctions (Cass. soc., 11 mars 1982 : Bull. civ. V n° 169). Le régime fiscal applicable aux rémunérations versées aux gérants des sociétés civiles est fonction à la fois de la qualité de ceux-ci (associés ou tiers) et du régime fiscal de la société. Bien qu’en principe soumises au régime fiscal des sociétés de personnes, les sociétés civiles peuvent, en effet, être assujetties à l’impôt sur les sociétés soit de plein droit, soit sur option, le mode d’assujettissement à l’IS ayant une incidence sur la qualification de la rémunération des gérants associés. Les rémunérations versées aux dirigeants des sociétés transparentes sont soumises à un régime particulier.

Précisions

Les honoraires perçus par le gérant d’une société civile (notamment d’une société d’attribution ou de construction-vente) sont exonérés de TVA si le gérant est salarié ou si, ayant la qualité d’associé, il n’exerce cette activité que dans le cadre d’une seule opération et ne se comporte pas comme un véritable promoteur (D. adm. 3 A-1121 n°  21, solution non reprise au Bofip). Dans le cas contraire (gestion habituelle de plusieurs immeubles dans plusieurs sociétés et rémunération distincte de sa quote-part dans les bénéfices sociaux), l’intéressé se comporte comme un véritable agent d’affaires dont les opérations sont soumises à la TVA (en ce sens : CE, 18 mai 1979, n° 8167 : RJF 7-8/79 n° 408 ; CE, 10 novembre 1982, n° 26046 : RJF 1/83 n° 39). Dans la même situation, cette personne est également assujettie à la contribution économique territoriale en tant qu’elle exerce une activité professionnelle non salariée d’administrateur d’immeuble gérant le patrimoine d’autrui (CE, 13 juin 1990, n° 74010, solution rendue pour la taxe professionnelle mais transposable à la contribution économique territoriale).

Gérants non associés

Lorsque la gestion de la société est confiée à un tiers non associé, la rémunération qui lui est versée est déductible des résultats, que la société soit ou non assujettie à l’impôt sur les sociétés. Elle est imposée entre les mains du bénéficiaire à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires ou des bénéfices industriels et commerciaux selon que le gérant est regardé comme un salarié ou comme un administrateur de biens (BOI-RFPI-CHAMP-30-20 n° 200). Par exemple, un contribuable qui administre quatre sociétés civiles immobilières exerce la profession commerciale d’agent d’affaires (CE, 25 juillet 1980, n° 16503 : RJF 11/80 n° 857). Mais si la personne qui collabore à la gestion d’une société civile de construction est placée dans une situation de subordination et perçoit un salaire mensuel fixe, les rémunérations perçues à ce titre ont le caractère de salaire (CE, 9 novembre 1981, n° 20394 : RJF 1/82 n° 43). Si la gérance est confiée à une personne morale relevant de l’impôt sur les sociétés, la rémunération est soumise à cet impôt.

Gérants associés de sociétés civiles passibles de l’IS

Dans les sociétés civiles passibles de l’impôt sur les sociétés, les rémunérations des associés-gérants sont, conformément à la règle générale, déductibles des résultats (sauf si elles sont exagérées). Si la société civile est soumise à l’impôt sur les sociétés à la suite d’une option expresse, les rémunérations allouées aux associés-gérants sont imposables à l’impôt sur le revenu selon les règles prévues par l’article 62 du Code général des impôts (CGI art. 211). Les sommes perçues sont, sous déduction des cotisations et primes mentionnées à l’article 154 bis du CGI (cotisations aux régimes obligatoires et facultatifs de sécurité sociale, versements volontaires à un plan d’épargne retraite individuel ou à un Pereco et primes versées au titre des contrats Madelin), imposées selon les règles des traitements et salaires, c’est-à-dire après application de la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels.

Par ailleurs, les associés dont les rémunérations relèvent de l’article 62 du Code général des impôts peuvent déduire des rémunérations qu’ils perçoivent, selon le régime des frais réels, les intérêts d’emprunt et autres frais (frais de dossiers, cotisations d’assurance, etc.) supportés pour acquérir ou souscrire les titres de la société dans laquelle ils exercent leur activité professionnelle principale, dès lors que ces dépenses sont utiles à l’acquisition ou à la conservation du revenu et que leur montant est proportionné à leur rémunération annuelle (CGI art. 83, 3° - dernier al.).

Sont exclus les titres de sociétés dont l’activité est la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier (BOI-RSA-BASE-30-50-30-30 n° 150). En pratique, sont admis en déduction les intérêts dus à raison de la fraction de l’emprunt qui n’excède pas le triple de la rémunération annuelle perçue ou escomptée à la date de la souscription (BOI-RSA-BASE-30-50-30-30 n° 330).

Mais l’administration estime de façon à notre avis contestable que dans l’hypothèse où l’acquisition est financée à la fois par un emprunt et par des fonds propres, le plafond de la rémunération doit être réduit en fonction de la fraction de l’acquisition financée par l’emprunt (BOI-RSA-BASE-30-50-30-30 n° 360).

Si la société civile est passible de l’impôt sur les sociétés de plein droit en raison de son objet, les rémunérations des associés ayant la qualité de gérant sont imposées, selon l’administration, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (ou à l’impôt sur les sociétés si le bénéficiaire est une société relevant de cet impôt) [BOI-RSA-GER-10-30 n° 310].

Gérants associés de sociétés civiles non passibles de l’IS

Dans les sociétés civiles non passibles de l’impôt sur les sociétés, les appointements versés aux associés gérants ne sont pas déductibles et doivent être regardés comme une modalité particulière de répartition des bénéfices sociaux. Rapportés aux bénéfices de l’exercice au cours duquel ils ont été payés, ces appointements sont soumis à l’impôt sur le revenu au nom de chaque bénéficiaire dans la catégorie correspondant à la nature de l’activité de la société (BA, BNC, revenus fonciers ou, plus rarement, BIC), dans les mêmes conditions que la quote-part de bénéfices sociaux revenant à chacun.

Dans les sociétés civiles immobilières de location, la rétribution de l’associé gérant est, en principe, imposée au titre des revenus fonciers. Lors de la cession par une société civile immobilière d’un immeuble lui appartenant, la plus-value est imposée, selon le régime des plus-values des particuliers, entre les mains des associés personnes physiques. Par suite, la décision d’une société d’allouer à un de ses associés, gérant, un supplément de distribution à titre de « rémunération » n’a pas d’incidence sur la nature et le calcul de la plus-value réalisée à l’occasion de la cession, ni sur ses modalités d’imposition ; seule est modifiée la règle de répartition résultant de la répartition des parts de la société civile immobilière entre ses deux associés. Dès lors, la plus-value n’étant plus imposable entre les mains des associés, eu égard aux abattements applicables en raison de la durée de détention du bien, une cour d’appel a jugé que c’est à tort que l’administration avait imposé l’associé gérant, dans la catégorie des revenus fonciers, au titre d’une prétendue rémunération (CAA Lyon, 20 mars 2018, n° 16LY04400 : RJF 8-9/18 n° 856). Le régime des BIC est applicable aux associés gérants de sociétés civiles de construction-vente visées à l’article 239 ter du CGI.

L’imposition selon les règles et dans la catégorie correspondant à la nature de l’activité de la société ne présente toutefois pas un caractère général. En effet, lorsque l’associé est une personne morale passible de l’IS, ou une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposée de plein droit selon un régime de bénéfice réel, ou encore une société de personnes ayant une activité de gestion mobilière ou immobilière ou qui, exerçant une activité agricole, relève du régime du micro-BA ou du réel simplifié sur option, il est fait application des règles de l’article 238 bis K du CGI : l’associé sera imposable soit selon les règles propres à son activité, soit selon les règles prévues en matière d’IS.

Enfin, sont imposables au titre des BIC, comme se rattachant à une activité professionnelle d’administrateur d’immeubles, les rémunérations perçues par une personne en contrepartie de la gestion de plusieurs dizaines d’immeubles pour le compte de sociétés civiles immobilières dont elle ne possède qu’un nombre très limité de parts (CE, 18 mai 1979, n° 8168 : RJF 7-8/79 n° 408 ; CE, 10 novembre 1982, n° 25017 : RJF 1/83 n° 12 ; CE, 13 juin 1990, n° 74012 : RJF 8-9/90 n° 1116).

 

Précisions sur la rémunération du gérant

A. Si les statuts (ou la décision de nomination du gérant) n’ont rien prévu, le gérant ne peut pas, à notre avis, exiger qu’une rémunération lui soit versée.

B.  Le gérant peut renoncer à sa rémunération. Cette renonciation peut être implicite du moment qu’elle n’est pas équivoque. Une telle renonciation a été admise pour un gérant à qui les statuts prévoyaient d’attribuer chaque année une partie des bénéfices à titre de rémunération mais qui a toujours présenté et approuvé lui-même des bilans ne comportant aucune attribution de bénéfices à son profit (Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-26.329 : RJDA 5/12 n° 500).

C.  Dans l’arrêt précité du 17 décembre 2013 n° 12-27.213, la Cour de cassation a précisé que la décision fixant la rémunération du dirigeant étant régulière et ne comportant aucun abus, les juges ne pouvaient pas la modifier en se substituant à l’organe statutairement compétent. Cette formulation rappelle un arrêt ancien de la Cour de cassation aux termes duquel « les statuts prévoyant la fixation de la rémunération de la gérance par une décision des associés, les juges ne pouvaient substituer leur décision à celle des associés dès lors qu’il n’était pas établi que celle-ci fut irrégulière ou abusive » (Cass. com., 11 janvier 1972, n° 69-11.682 et 69-11.205 : Bull. civ. IV n° 19). Peut-on en déduire que la fixation judiciaire de la rémunération est possible si la décision des associés est irrégulière ou abusive ? La réponse est, à notre avis, négative car cela constituerait une immixtion du juge dans la vie sociale. Si la décision a été prise irrégulièrement, le dirigeant peut demander au juge de l’annuler. Si elle comporte un abus, il peut former une action en responsabilité en vue d’obtenir réparation.

D.  Les dispositions statutaires imposant de fixer la rémunération du gérant par une décision collective ordinaire des associés sont respectées dès lors que la rémunération est mentionnée dans un rapport signé par les associés à l’issue de l’assemblée générale ordinaire annuelle et annexé au procès-verbal de cette assemblée (Cass. com., 15 mars 2017, n° 14-17.873 F-D : RJDA 7/17 n° 470, à propos d’une Sarl mais transposable). Il a aussi été jugé, à propos d’une société en participation, que l’approbation par les associés des rémunérations et avantages perçus par le gérant au cours de l’exercice clos peut résulter de leur mention détaillée dans le procès-verbal d’approbation des comptes de la société (Cass. com., 9 janvier 2019, n° 17-16.504 FS-D : RJDA 4/19 n° 274). La décision collective n’a donc pas à prendre nécessairement la forme d’une résolution soumise au vote des associés.

E.  La décision fixant la rémunération du gérant peut, à notre avis, intervenir après le versement de celle-ci (Cass. com., 18 décembre 2019, n° 18-13.850 F-D : RJDA 3/20 n° 155, à propos d’une Sarl mais, à notre avis, transposable aux sociétés civiles car la loi est muette dans ces deux formes sociales sur les modalités de fixation de la rémunération du gérant).

F.  La rémunération du gérant lui est due tant qu’aucune décision la supprimant n’est intervenue, peu important qu’il ne puisse plus exercer ses fonctions du fait de son absence pour maladie (Cass. com., 21 juin 2017, n° 15-19.593 F-PBI : RJDA 10/17
n° 628, à propos d’une Sarl mais transposable).

 

Rémunération considérée comme exagérée ou anormale

Lorsqu’elle ne correspond pas à un travail effectif ou qu’elle excède la rétribution normale des fonctions exercées, la fraction de la rémunération considérée comme exagérée doit être réintégrée dans les bénéfices imposables de la société et taxée, par voie de conséquence, comme revenu mobilier entre les mains du bénéficiaire. La base d’imposition de ces rémunérations excessives est majorée de 25 % (CGI art. 158, 7-2°). Parmi les critères habituellement retenus par la jurisprudence du Conseil d’Etat et auxquels se réfère également l’administration pour déterminer si une rémunération est « anormale » ou « excessive », on peut citer notamment, outre la qualification professionnelle et l’importance de l’activité déployée par le dirigeant, le taux des rémunérations des personnes occupant des emplois analogues dans des sociétés similaires de la région, l’importance de la rémunération par rapport aux bénéfices sociaux ou aux salaires des autres membres du personnel.