Le don manuel : pas si simple !

25/10/2022 - source : Profession CGP

Article extrait du mémento Transmission d’entreprise 2022-2023 paru aux éditions Francis Lefebvre

Le don manuel prévu à l’article 757 du CGI consiste en une simple remise matérielle d’un bien meuble quelconque (un objet, une somme d’argent, un chèque, voire des valeurs mobilières ou des titres), ce qui exclut les immeubles, pour lesquels un acte notarié est obligatoire. Mais cette donation peut cacher quelques pièges qui plongeraient quiconque dans un trou fiscal béant.

Très fréquent, le don manuel est une donation effectuée par la remise matérielle, ou « tradition réelle », du bien donné au donataire. Il peut porter non seulement sur de l’argent, mais également sur tout bien meuble corporel : voiture, tableau, bijoux, etc. (rares exceptions concernant notamment les bateaux et avions). Un don manuel de cryptomonnaies paraît possible, mais il présente un risque fiscal certain (P.-A. Conil et R. Vabres, Quels modes de transmission à titre gratuit des cryptoactifs ? : SNH 3/20 inf. 14 n° 3).

Parce qu’insusceptibles de tradition réelle, les meubles incorporels sont en principe exclus du champ du don manuel. C’est ainsi, par exemple, que si tel ou tel élément corporel par nature d’un fonds de commerce peut faire l’objet d’un don manuel, le fonds lui-même ne le peut pas, car il constitue une universalité de biens incorporelle.

De même, sont insusceptibles de don manuel les droits incorporels de propriété industrielle (exploitation d’un brevet, d’une marque ou d’un modèle), de propriété littéraire et de propriété artistique.

En ce qui concerne les créances, théoriquement exclues du don manuel, la solution est plus nuancée. En effet, la créance est parfois incorporée dans un titre qui en révèle l’existence et en permet la tradition matérielle.

En pratique, l’évolution jurisprudentielle de la notion de tradition réelle réduit la portée de l’exclusion des meubles incorporels. Il est par exemple possible de donner par don manuel des valeurs mobilières, notamment des actions de société (Cass. 1re civ., 27 octobre 1993, n° 91-13.946 P ; Cass. com., 19 mai 1998, n° 96-16.252 P).

La Cour de cassation a même admis un don manuel de portefeuille de courtage en assurances (Cass. 1re civ., 3 février 2004, n° 02-14.102 F-D). Un immeuble ne peut pas faire l’objet d’un don manuel.

Régime juridique du don manuel

Conditions de validité du don manuel

Sur le fond, le don manuel obéit aux conditions de droit commun posées pour la validité des donations entre vifs : dessaisissement irrévocable du donateur, acceptation du donataire, intention libérale, etc.

En la forme, le don manuel échappe évidemment à la double exigence de l’acte notarié et de l’état estimatif. Il en résulte, notamment, que l’acceptation du don manuel n’est soumise à aucun formalisme (Cass. 1re civ., 12 juin 1966, n° 64-12.464 : Bull. civ. I n° 424 ; Cass. 1re civ., 13 janvier 2016, n° 14-28.297 FS-PB : Sol. Not. 3/16 inf. 63).

Mais le don manuel implique la réalisation d’une condition particulière : la tradition réelle du bien. Cette tradition peut s’effectuer de la main à la main ou de façon dématérialisée, notamment par virement de titres ou de sommes d’argent. Dans tous les cas, elle doit s’effectuer dans des conditions telles qu’elle assure la dépossession définitive et irrévocable du donateur (pour un ferme rappel du principe, Cass. 1re civ., 10 octobre 2012, n° 10-28.363 F-PBI : BPAT 6/12 inf. 304). Par exemple, il n’y a pas don manuel en cas de virement de sommes d’argent d’un compte personnel à un compte joint, puisque le donneur d’ordre conserve la possibilité de retirer les fonds (Cass. 1re civ., 17 avril 1985, n° 83-16.939 : Bull. civ. I n° 117).

Il n’est pas indispensable que la remise du bien soit concomitante de l’accord de volontés. Mais il faut que la tradition intervienne du vivant du donateur. Par exemple, un chèque retrouvé au coffre après le décès de son auteur ne constitue pas un don manuel (Cass. 1re civ., 3 avril 2002, n° 99-20.527 F-P : BPAT 3/02 inf. 164). En revanche, le décès du donateur entre la remise du chèque et son encaissement est sans incidence : le don manuel est réalisé et le donataire peut en réclamer le paiement aux héritiers.

En pratique, la condition tenant à ce que la tradition soit effectuée du vivant du donateur pose surtout problème lorsqu’elle fait intervenir un tiers mandataire du donateur (un banquier, par exemple). Le mandat prenant fin au décès du mandant, il n’y a pas don manuel si le donateur décède avant que le mandataire ait pu remettre le bien au donataire. Par exemple, un transfert d’actions de compte à compte réalisé par le banquier après la mort du donateur ne peut pas constituer un don manuel (Cass. 1re civ., 27 octobre 1993, n° 91-13.946 P : Bull. civ. I n° 299).

Particularités du don manuel de titres

Les parts sociales non négociables ne peuvent faire l’objet d’un don manuel. Leur propriété résulte des statuts de la société. Dès lors, le transfert des parts sociales suppose une modification des statuts, laquelle est causée par la régularisation d’un acte de donation. Les parts sociales non négociables ne peuvent pas faire l’objet d’une tradition réelle, dématérialisée ou non (en ce sens, 108e Congrès des notaires de France, La transmission, Montpellier 2012, n° 3170). En revanche, dès lors qu’un don manuel de monnaie scripturale peut être réalisé au moyen d’un virement, la solution a pu être étendue au virement de valeurs mobilières, telles des actions, entre deux comptes-titres. Les actions étant dématérialisées, la transmission se traduit par une inscription au compte-titres du donataire. Les juges ont ainsi eu l’occasion de relever qu’un don manuel avait pu se réaliser par le virement des titres du compte du donateur à celui du donataire (CA Paris 3e ch. A, 19 mars 1991 : Joly 1991, p. 507 n° 175 note F. Lucet).

A également été admise la qualification de don manuel pour un virement de valeurs mobilières du compte d’un époux à celui de son épouse (CA Paris, 22 mars 1989 : D. 1989 IR 130). Suivant cette jurisprudence, cette modalité de transmission pourrait, a fortiori, être utilisée au profit d’enfants. Cette possibilité a été confirmée par la Cour de cassation, qui a jugé que du fait de leur dématérialisation, les titres au porteur se transmettent par virement de compte à compte et peuvent ainsi être transmis par don manuel (Cass. com., 19 mai 1998, n° 96-16.252 P). La solution vaut également pour les titres nominatifs (N. Peterka : Don manuel, J-Cl. Civil art. 931 fascicule 30 n° 147).

Si un chef d’entreprise peut ainsi transmettre sa société par un don manuel d’actions, nous ne saurions trop insister, toutefois, sur les dangers d’une telle opération, réalisée sans les bénéfices de l’acte authentique et les conseils d’un notaire (H. Hovasse, Le notaire et la transmission de l’entreprise à titre gratuit : JCP N 1996 prat. n° 3667).

Régime fiscal du don manuel

Cas de taxation
Règles générales

Les dons manuels ne sont pas par eux-mêmes taxables. Cependant, ils le deviennent dans quatre situations (CGI art. 757 et 784) : - en cas de déclaration volontaire par le donataire – mais non par le donateur – dans un acte alors soumis à l’enregistrement ;

- lorsqu’ils font l’objet d’une reconnaissance judiciaire (situation rare) ;

- lorsqu’ils sont révélés par le donataire au fisc ;

- si une donation postérieure constatée par un acte intervient entre les mêmes personnes, ou lors du décès du donateur si le donataire figure parmi les successibles, application de la règle du rappel fiscal des donations antérieures.

La date du don manuel est sans incidence sur l’imposition au droit de donation, dont le fait générateur est constitué soit par une nouvelle mutation à titre gratuit (rappel fiscal : CGI art. 784), soit par l’acte renfermant la déclaration, la reconnaissance judiciaire ou la révélation à l’administration du don.

Révélation spontanée du don manuel

Les dons manuels révélés doivent, en principe, être déclarés ou enregistrés par le donataire ou ses représentants dans le délai d’un mois qui suit la date à laquelle le donataire a révélé ce don à l’administration fiscale (CGI art. 635 A, al. 1). Cependant, pour les dons manuels dont le montant est supérieur à 15 000 €, lorsque la révélation du don par le donataire ou son représentant est spontanée, la déclaration du don assortie du paiement des droits correspondants peut être effectuée, au choix du donataire, soit dans le mois de la révélation, soit dans le mois du décès du donateur (CGI art. 635 A, al. 2).

Option pour la déclaration dans le mois de la révélation

L’option pour la déclaration et le paiement des droits dans un délai d’un mois à compter de la date de la révélation présente plusieurs avantages :

- si le don porte sur des sommes d’argent exonérées, la déclaration permet leur exonération définitive ;

- la base imposable est définitivement arrêtée au jour de la déclaration, ce qui évite tout risque de surcoût fiscal si la valeur du bien donné augmente par la suite ;

- la déclaration fait courir le délai de quinze ans de la dispense de rappel fiscal des donations antérieures.

L’enregistrement volontaire du don manuel peut également présenter un intérêt lorsque le don porte sur un bien dont la vente est susceptible de dégager une plus-value taxable. C’est ainsi que, faute d’avoir déclaré le don manuel d’actions dont il avait bénéficié, un contribuable s’est vu notifier un important redressement d’impôt sur le revenu lors de la revente de ses actions. La valeur vénale des titres au moment du don manuel n’ayant pas pu être justifiée, leur valeur d’acquisition a été considérée comme nulle, et la plus-value taxable égale par conséquent au prix de vente des titres (CE, 7 avril 2006, n° 270444 : RJF 7/06 n° 853).

Un service d’enregistrement en ligne des dons manuels est accessible sur impots.gouv.fr. Il permet notamment de déclarer des dons manuels d’actions, de titres de société reçus d’un proche ou d’un tiers. La télédéclaration des dons manuels n’étant pas obligatoire, le donataire peut continuer à souscrire l’imprimé n° 2735-SD en format papier (disponible sur le site impots.gouv.fr) et le déposer auprès du service des impôts (pôle enregistrement) de son domicile (CGI ann. III art. 281 E).

Si des droits de donation sont dus, ils sont payés avec le dépôt de la déclaration (en cas de déclaration en ligne d’un don manuel de droits sociaux, le paiement en ligne des droits est réalisé par carte bancaire ou autorisation de prélèvement). Si aucun droit n’est dû en raison des abattements ou d’exonérations applicables, l’enregistrement est gratuit (le droit fixe de 125 € n’est pas dû).

Option pour la déclaration dans le mois du décès du donateur

Depuis le 31 juillet 2011, le donataire peut opter pour une déclaration et un paiement des droits dans un délai d’un mois à compter du décès du donateur, à condition que le don ait une valeur supérieure à 15 000 € (CGI art. 635 A, al. 2). Le seuil de 15 000 € s’apprécie au jour de la révélation, et distinctement pour chaque don (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n° 80).

L’option pour la déclaration et le paiement des droits après le décès du donateur se fait en déposant en double exemplaire au service des impôts des entreprises (pôle enregistrement) du domicile du donataire un imprimé n° 2734. Aucun droit n’est dû lors du dépôt de cet imprimé. Sur la télédéclaration de l’imprimé, voir ci-dessus.

Si le donataire opte pour le report de la déclaration et du paiement des droits après le décès du donateur, le délai de reprise de l’administration est prolongé jusqu’à l’expiration de la sixième année qui suit le décès (LPF article L. 181 A). Dans ses premiers commentaires du texte, l’administration admettait que la prescription abrégée de trois ans devrait toutefois être applicable si la déclaration de don manuel enregistrée après le décès du donateur révèle suffisamment l’exigibilité des droits, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures (Inst. 7 G-2-12 n° 37). Mais cette tolérance n’a pas été reprise au Bofip.

Révélation subie du don manuel

Les dons supérieurs à 15 000 € qui sont révélés en réponse à une demande de l’administration (par exemple, pour justifier de la possession de fonds et éviter une taxation à l’impôt sur le revenu) ou découverts lors d’une procédure de contrôle fiscal (vérification de comptabilité ou examen de la situation fiscale personnelle) sont taxables aux droits de mutation à titre gratuit. Le donataire doit déclarer le don et payer les droits correspondants dans un délai d’un mois à compter de la date de la révélation (CGI art. 635 A ; Cass. com., 4 mars 2020, n° 18-11.120 F-PB : RJF 6/20 n° 563). Cette acception élargie de la notion de révélation (« révélation subie » par le contribuable) a d’abord été validée par la jurisprudence (notamment, Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-23.230 F-D : RJF 1/12 n° 72). Une interprétation condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a jugé que la taxation des dons découverts lors d’un contrôle fiscal constituait une violation de la convention européenne des droits de l’Homme pour imprévisibilité de la loi fiscale (CEDH du 30 juin 2011, n° 8916/05 : RJF 10/11 n° 1115).

Tirant les conséquences de cette décision, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence antérieure en jugeant que les dons manuels découverts lors de la vérification de comptabilité d’une association ne sont pas révélés par le donataire. Ils ne sont donc pas soumis aux droits de mutation. Seule une révélation volontaire pourrait entraîner taxation (Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-11.642 FS-PB : RJF 4/13 n° 438 ; Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-17.414 F-PB : RJF 8-9/13 n° 878).

Alors que le fisc persiste à maintenir le principe de taxation en cas de révélation subie (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n° 60), la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence issue des arrêts de 2013 en précisant que la découverte d’un don manuel résultant de la réponse apportée par le contribuable à une question du vérificateur n’est pas une révélation de ce don (Cass. com., 6 décembre 2016, n° 15-19.966 F-PB : BPAT 1/17 inf. 28).

Mais la portée des arrêts de 2013 et 2016, rendue pour l’application du régime antérieur à la loi du 29 juillet 2011, était toutefois devenue incertaine compte tenu de la modification apportée par cette loi à l’article 635 A du CGI. Dans sa rédaction antérieure à la loi de 2011, l’article 635 A se bornait à énoncer que les dons manuels mentionnés à l’article 757, al. 2 du CGI devaient être déclarés ou enregistrés par le donataire ou ses représentants dans le délai d’un mois qui suit la date à laquelle le donataire a révélé ce don au fisc. La loi de 2011 a ajouté que, pour les dons manuels dont le montant est supérieur à 15 000 €, la déclaration doit être réalisée dans le délai d’un mois qui suit la date à laquelle ce don a été révélé, lorsque cette révélation est la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration ou d’une procédure de contrôle fiscal. La question se posait de savoir si ce texte avait ou non créé un nouveau cas de révélation.

Amenée à se prononcer sur cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative en jugeant que la lettre d’un contribuable, en réponse à une demande de l’administration formulée à l’occasion d’une vérification de sa situation personnelle, vaut révélation au sens des articles 635 A et 757 du CGI (Cass. com., 4 mars 2020, n° 18-11.120 F-PB : RJF 6/20 n° 563). En visant expressément ces deux textes, l’arrêt reconnaît que la loi du 29 juillet 2011 a créé un nouveau cas de révélation de dons manuels permettant de taxer aux droits de donation les dons de plus de 15 000 € révélés dans le cadre d’un contrôle fiscal.

Calcul des droits
Valeur imposable

Cas général

Pour les dons manuels déclarés dans un acte enregistré, reconnus dans une décision de justice ou révélés par leur bénéficiaire, selon la date du don manuel :

- pour les dons manuels consentis depuis le 31 juillet 2011, les droits sont calculés sur la valeur du don manuel à la date de sa déclaration ou de son enregistrement ou, si elle est supérieure, sur sa valeur à la date de la donation (CGI art. 757, al. 1, dans sa rédaction issue de la loi 2011-900 du 29 juillet 2011 art. 9, II). En d’autres termes, c’est la plus élevée des deux valeurs (jour de la taxation ou jour de la donation) qui sert d’assiette pour le calcul des droits. Cette règle s’applique également lorsque le donataire révèle un don manuel à l’administration fiscale (CGI art. 757, al. 2). Dans ce cas, le fait générateur de l’imposition se situe au jour, non de sa réalisation, mais de sa révélation. En soumettant les dons révélés aux mêmes règles d’imposition que les dons déclarés, enregistrés ou reconnus en justice, ces dispositions ne créent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les donataires (Cons. const., 9 juillet 2021, n° 2021-923 QPC : RJF 10/21 n° 960) ;

- pour les dons manuels qui ont été effectués avant le 31 juillet 2011, les droits sont calculés sur la valeur du don manuel au jour du fait générateur de l’impôt, quelle qu’ait été la valeur d’origine des biens donnés.

Il n’existe pas de règle légale d’assiette pour les dons manuels taxés par voie de rappel fiscal. Selon l’administration, ces dons sont imposables sur la valeur des biens au jour de la nouvelle mutation (donation ou succession) à laquelle ils sont rapportés (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n° 210). La Cour de cassation semble toutefois d’un avis différent (Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-15. 289 F-D : RJF 2/08 n° 234).

Cas particuliers

La loi ne prévoit aucune règle particulière pour les dons manuels de sommes d’argent. A notre avis, les droits sont assis sur le nominal donné, quelle que soit l’utilisation ultérieure des fonds par le donataire. Le mécanisme de la dette de valeur prévu, sauf exception, pour le rapport civil n’est pas applicable. Si les sommes données ont servi à acquérir un bien, c’est le montant donné, et non la valeur du bien au jour du décès du donateur, qui sera taxé (en ce sens, notamment, Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-20.960 P : RJF 1/99 n° 107, solution rendue sous le dispositif antérieur à la loi 2011-900 du 29 juillet 2011, mais selon nous toujours valable ; BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n° 200, qui ne distingue pas selon que le don a été effectué avant ou après le 31 juillet 2011).

Si le don manuel est assorti de charges, celles-ci ne sont pas déductibles de l’assiette des droits de donation. Certes, les dettes contractées par le donateur pour l’acquisition des biens donnés (ou dans l’intérêt de ces mêmes biens) sont sous certaines conditions déductibles (CGI art. 776 bis). Mais la déductibilité est notamment subordonnée à la stipulation dans l’acte de donation de la prise en charge de la dette par le donataire, condition qui ne peut pas être remplie par un don manuel, qui est par hypothèse effectué sans acte de donation. La loi ne précise pas la valeur à retenir pour l’assiette des droits lorsque le bien a été cédé avant la date de la déclaration ou de l’enregistrement du don.

Sous le dispositif applicable aux dons consentis avant le 31 juillet 2011, il a été jugé qu’un don manuel d’actions qui n’a été révélé qu’après la vente des titres par le donataire doit être taxé sur la valeur qu’avaient les actions au jour de leur vente, et non sur leur cours de Bourse au jour de la révélation (CA Aix-en-Provence, 25 novembre 2010, n° 10/07855, 1re ch., B : RJF 3/11 n° 384).

Compte tenu de la rédaction actuelle de l’article 757 du CGI, la taxation des dons manuels consentis depuis le 31 juillet 2011 et déclarés dans un acte soumis à l’enregistrement, révélés ou judiciairement reconnus nous semble devoir être assise sur la plus élevée des deux valeurs suivantes : prix de vente du bien donné ou valeur du bien au jour du don.

Abattements, tarifs et réductions de droits

Les tarifs des droits et les abattements sont ceux en vigueur au jour de la déclaration ou de l’enregistrement du don manuel, y compris lorsque le donataire a spontanément révélé le don et a opté pour le report de la taxation au décès du donateur (CGI art. 757, al. 1 in fine). Bien que la loi ne le précise pas, il en va de même des réductions de droits en faveur des mutilés de guerre, par exemple.

Lorsque le don manuel est taxé au décès par application de la règle du rappel fiscal des donations antérieures, ce sont des droits de succession qui sont dus, et non des droits de donation (Cass. com., 31 mars 2004, n° 02-10.578 FS-PB : RJF 7/04 n° 801). Il en résulte que les exonérations et abattements spécifiques aux donations ne sont pas applicables. La solution est à notre avis différente lorsque le donateur a spontanément révélé le don manuel et opté pour un report de déclaration et de taxation au décès.

Conseils pratiques

Les avantages du don manuel sont connus : puisqu’il ne suppose aucune formalité, il est facile à effectuer. Il a également le mérite de la discrétion, à l’égard tant des héritiers du donateur que de l’administration fiscale. Enfin, le don manuel est économique, puisqu’il permet d’éviter à la fois les frais de notaire et les droits de donation.

Ses inconvénients, moins connus, ne doivent pas être négligés, d’autant qu’ils peuvent être très largement maîtrisés :

- comme toute donation, le don manuel consenti au profit d’un héritier est présumé rapportable et est, le cas échéant, réductible, ce qui est de nature à susciter des conflits au décès du donateur ;

- parce qu’il est discret, un don manuel laisse généralement peu de traces et il est difficile de prouver après coup ce qui s’est réellement passé. C’est en pratique sur le terrain de la preuve que se concentre l’essentiel du contentieux du don manuel ;

- l’exonération fiscale de départ n’est pas toujours définitive.

Etablir un pacte adjoint

Le terme de « pacte adjoint » désigne en pratique la reconnaissance écrite que les parties ou l’une d’entre elles font du don manuel. L’objectif du pacte adjoint est de formaliser leur accord et de préconstituer la preuve de l’existence du don manuel et de ses modalités (charges, dispense de rapport, etc.). L’établissement d’un tel pacte est à conseiller chaque fois que le montant du don manuel est important.

Sur le plan de la forme, le pacte adjoint peut bien sûr être dressé par acte authentique. Mais il est plus fréquemment établi sous signature privée. Il faut alors absolument veiller à ce que le pacte n’opère pas par lui-même la donation. En particulier, il ne doit pas comporter l’acceptation du donataire.

Effectuée sous signature privée, la donation serait nulle pour violation de l’article 931 du Code civil. Le pacte doit seulement constater l’existence du don manuel opéré par la tradition réelle du bien donné. Pour éviter le risque de nullité, il est conseillé d’établir le pacte après l’accomplissement de la tradition réelle, de lui donner un titre non équivoque – par exemple, « reconnaissance du don manuel effectué le… » –, et de le rédiger au passé plutôt qu’au présent ou – pire – au futur.

Les clauses susceptibles d’être formalisées dans un pacte adjoint sont toutes celles qui peuvent affecter un don manuel, le pacte ayant seulement une fonction probatoire.

Comme toute donation, un don manuel au profit d’un héritier est présumé rapportable à la succession du donateur. Si ce dernier entend dispenser de rapport à succession le bénéficiaire du don, la preuve de cette dispense de rapport, qui peut être effectuée par tous moyens, sera évidemment facilitée par l’insertion dans le pacte d’une clause de préciput (donation effectuée hors part successorale). De la même façon, le pacte peut formaliser un aménagement aux règles du rapport, telle une clause de rapport forfaitaire des biens donnés à leur valeur au jour de la donation.

Toutes les charges susceptibles d’affecter une donation peuvent être valablement prévues dans un don manuel et peuvent par conséquent être insérées dans un pacte adjoint : interdiction temporaire d’aliéner, versement d’une rente viagère au donateur, réserve d’usufruit, etc.

Un don manuel pouvant être consenti sous condition résolutoire, le pacte peut prévoir un droit de retour conventionnel. En revanche, il n’est pas possible, faute de tradition réelle, d’assortir un don manuel d’une condition suspensive ou d’un terme suspensif. Pour la même raison, il est exclu qu’un don manuel de sommes d’argent puisse s’opérer avec une réserve de quasi-usufruit et le pacte ne saurait par conséquent aménager une telle réserve. Une donation avec réserve d’usufruit est en revanche possible, à condition que cette réserve ne fasse pas obstacle à la tradition réelle du bien. Il peut s’agir, par exemple, d’une donation d’actions, le donateur conservant le droit aux dividendes.

Enfin, la prise en charge des droits, immédiate ou non, par le donateur peut faire l’objet d’une stipulation particulière, comme pour toute donation.

Conférer date certaine au don manuel

Il s’agit d’une précaution utile lorsqu’il existe un risque de réduction du don manuel, ce qui suppose deux conditions : le donateur a au moins un héritier réservataire autre que le donataire et il consent au cours de sa vie plusieurs donations dont le montant total risque d’empiéter sur la réserve.

La réduction des donations s’effectuant de façon chronologique en commençant par les plus récentes et en remontant jusqu’aux plus anciennes, un don manuel qui n’a pas date certaine sera réduit en premier. En effet, il sera considéré comme prenant rang au jour du décès du donateur et sera réduit avant toutes les autres donations.

Pour conférer date certaine au don manuel, plusieurs moyens sont envisageables :

- la présentation volontaire du don manuel ou d’un pacte adjoint le constatant à la formalité de l’enregistrement : la date du don sera celle de son enregistrement. Attention cependant, si cette présentation est le fait du donataire, elle déclenchera la taxation du don ;

- l’établissement d’un acte authentique : la date du don sera celle de l’acte authentique. Ce sera le cas par exemple en cas d’établissement d’un pacte adjoint devant notaire ou d’incorporation du don manuel dans une donation-partage ultérieure.