"Les fonds de litigation finance facilitent l'accès à la justice"

09/01/2023 - source : Gestion de Fortune

justiceUn entretien avec Paul de Servigny, gérant, IVO Capital Partners

Surtout connue pour son expertise en dette corporate émergente, la société de gestion IVO Capital Partners développe également depuis 2014 une activité de «litigation finance». Paul de Servigny explique de quoi il retourne.

Que signifie « litigation finance » ?

Cette expression signifie « financement de contentieux », activité consistant à fournir les capacités de financement nécessaires à des personnes morales afin de leur permettre de faire face aux frais liés à des actions en justice, qu’il s’agisse d’un tribunal judiciaire ou d’un tribunal arbitral, dans un cadre public ou privé. Nous intervenons pour financer les frais d’avocats, de procédures et d’expertises relatifs à un procès ou un litige. Il faut savoir que les banques ne financent pas les contentieux. IVO Capital Partners est l’un des rares acteurs français et, même à l’échelle de l’Europe continentale, à exercer ce métier, lequel est en plein essor. Les avocats, de même que les tribunaux, reconnaissent de plus en plus l’utilité des fonds de litigation finance. En finançant uniquement des plaignants, des sociétés ou des groupes d’individus qui n’ont pas forcément la faculté d’être représentés en justice, ces fonds facilitent un accès total à la justice. Il faut ajouter que le financement de contentieux est ainsi en ligne avec les exigences des Principes du développement durable des Nations unies.

Que se passe-t-il sur un plan international ?

L’Australie, les Etats-Unis et l’Angleterre ont montré la voie. Les Pays-Bas sont l’une des juridictions les plus recherchées, en raison de leurs avancées législatives. En France, où le taux de pénétration est très faible, le nombre de spécialistes est limité. Selon une étude réalisée par un autre acteur historique en Europe, la société Deminor, le financement de contentieux en Europe (hors Royaume-Uni), qui représente aujourd’hui un potentiel d’opportunités finançable d’environ 0,8 Md€, devrait doubler dans les cinq ans. Cette croissance nous parait justifiée au vu du nombre de dossiers et de demandes reçues en Europe depuis le lancement de notre deuxième fonds en 2018.

Quels sont les avantages de la formule pour les entités concernées ?

Pour les entreprises, le financement de contentieux permet de préserver les liquidités qu’elles peuvent employer à autre chose, tout en conduisant la procédure jusqu’à son terme dans des conditions optimales. Il est souvent utilisé dans le cadre de procédures d’arbitrage, généralement coûteuses, auxquelles pourraient être soumises des entreprises petites et moyennes suite à un différend contractuel. Il est également de plus en plus commun dans le cadre d’actions collectives de personnes physiques ou morales, d’associations ou de fondations. Ce financement ne pèse pas sur les autres actifs de la société financée, qui ne supportent pas de garanties, ni sur son passif, car il n’y a aucun paiement à faire sauf en cas de victoire. Non dilutif, l’apport de capital permet à une société de débloquer une valeur potentiellement substantielle sous la forme de dommages et intérêts ou de récupérer, là encore en dommages et intérêts, un investissement considéré comme perdu. Les financeurs permettent aux plaignants de mieux faire valoir leurs droits et d’obtenir le dédommagement adéquat.

Et pour les investisseurs ?

Le principal avantage qu’offre le financement de contentieux est, d’après notre expérience, celui de l’asymétrie. En cas de succès, les sommes récupérées sont bien supérieures au coût du financement, que vous perceviez un multiple de votre investissement (allant de 2 à 4 fois, par exemple, voire plus) ou un pourcentage du montant finalement récupéré par les plaignants (entre 10 % et 30 %, par exemple). Dans nos calculs, nous retenons la meilleure des deux hypothèses. Selon nous, un autre gros atout de la classe d’actifs est qu’elle est complètement décorrélée de l’économie, des taux d’intérêt et des marchés traditionnels. Afin que le risque de perte en capital (toujours existant dans le cadre d’investissements de ce type) soit contrôlé, nous avons recours à l’assurance sur les dossiers dans lesquels nous investissons. Le financement de contentieux n’a rien d’une boîte noire. Nous tenons d’ailleurs à expliquer aux investisseurs toutes les étapes des procédures dans lesquelles nous nous impliquons.

Comment travaillez-vous ?

Les moyens que nous mettons en œuvre, avec une équipe de trois collaborateurs dédiés, une équipe de partenaires anglo-saxons exclusifs, et des relations avec des cabinets d’avocats, nous fournissent une visibilité sur un grand nombre de cas à partir d’un sourcing à la fois sélectif et diversifié : ruptures abusives de contrat, violations de brevets, pratiques anti-concurrentielles, spoliations, ententes frauduleuses, atteintes au droit des actionnaires ou encore actions collectives sur diverses problématiques (non-conformité au RGPD, ou règlement général de la protection des données, par exemple dans le cas de TikTok aux Pays-Bas). Nous cherchons, en outre, à éviter tout conflit d’intérêt. Au cours des trois derniers exercices, nos investissements se sont concentrés sur des actions collectives, des arbitrages commerciaux et des arbitrages d’investissement. Avec plus de 60 % de nos investissements depuis 2020 en Europe et une importante partie en co-investissement. A ce jour, nous avons financé une cinquantaine de cas. Sur notre encours global de 1,2 Md€, le financement de contentieux correspond actuellement à 120 M€.

Sur quel rendement peut-on raisonnablement tabler ?

Compte tenu d’un taux de réussite légèrement inférieur à 50 %, l’espérance de taux de rendement interne à l’échéance, soit généralement au bout de huit années, peut atteindre 12 % à 15 % par an. Il est important de préciser que ces TRI sont des estimations réalisées sur la base de modèles élaborés par nos équipes et ne peuvent en aucun cas être considérés comme une performance certaine ni présager du futur.

Quel type de véhicule choisir pour s’exposer à ce marché original ?

Il existe, aujourd’hui, peu de possibilités pour s’intéresser à ce segment du non-coté. Nous avons lancé l’été dernier un nouveau fonds, un FIA (fonds d’investissement alternatif) sous le format SLP (société de libre partenariat), IVO Legal Strategies Fund III. Celui-ci reste en principe ouvert à la souscription jusqu’en août 2023. Il s’adresse principalement aux investisseurs professionnels ou assimilés professionnels. Les frais vont de 2,5 % (jusqu’à 1 M€ d’investissement) à 1,5 % (plus de 5 M€), en passant par 2 % (de 1 M€ à 5 M€). Après un premier closing de 25 M€ en août 2022, ce troisième millésime a effectué en décembre un closing intermédiaire de 36 M€. Nous avons déjà investi dans quatre dossiers. Nous visons une taille comprise entre 100 M€ et 150 M€. Avoir un investissement dans ce type de fonds permet de se diversifier en améliorant son profil risque/rendement.

ML