Les remèdes de cheval de la Fed

24/10/2023 - source : Profession CGP

Par Stéphane Deo, Senior Portfolio Manager chez Eleva Capital (achevé de rédiger le 3 octobre)

La Fed a augmenté ses taux directeurs de 0,25 à 5,5 % en moins de deux ans. Les taux américains à 10 ans sont passés de 0,5 % mi-2020 à plus de 4,5 % récemment. Un remède de cheval administré pour lutter contre l’inflation. Pourtant la croissance tient.

La croissance américaine est restée sur un rythme plus qu’honorable de 2 à 3 % sur les quatre derniers trimestres. Une résilience surprenante qui a pris à contre-pied une grande majorité de prévisionnistes. Que se passe-t-il ? Est-ce juste un effet retard ? Il y a deux raisons de penser que l’économie va malgré tout tenir.

 

Peu de sensibilité aux taux

D’une part, la hausse des taux d’intérêt fait beaucoup moins mal que sur les cycles précédents. Les entreprises, par exemple, ont beaucoup emprunté à long terme lorsque les taux étaient bas il y a un an ou deux. La hausse des taux les affecte donc peu, au moins pour l’instant ; leur effet sera plus diffus, donc plus facile à absorber. Même chose pour les ménages : certes les derniers chiffres montrent que les prêts hypothécaires se négocient actuellement à 7,8 %, un niveau presque prohibitif, mais l’immense majorité a été consentie avant le rebond des taux, et donc les ménages, endettés à taux fixe, ne payent en moyenne que 3,6 %. Résultat paradoxal : les transactions immobilières s’effondrent, mais les frais financiers des ménages restent proches des plus bas historiques. Ajoutons à cela que les liquidités détenues ont énormément progressé durant la crise, on est donc dans une situation où la hausse des taux n’a que peu d’impact sur le coût des prêts hypothécaires, alors que les ménages voient leurs liquidités mieux rémunérées. Bien sûr, le cycle de hausses de taux de la Fed n’est pas neutre et pèse incontestablement sur l’activité, mais l’économie est beaucoup moins sensible aux taux d’intérêt.

 

Absence de rigueur budgétaire

A l’opposé il faut parler de la politique budgétaire. Le « policy mix » en jargon d’économistes décrit la politique économique qui est constituée de deux volets, la politique monétaire et la politique budgétaire. Le déficit public américain est colossal, les derniers chiffres oscillent autour de 8 % du PIB. C’est autant de stimulus pour l’économie. L’IRA (Inflation Reduction Act) propose, entre autres, de généreuses baisses d’impôts pour certains investissements qui favorisent la transition verte. Il n’est donc pas si étonnant que les derniers chiffres montrent un dynamisme de l’investissement des entreprises malgré les hausses de taux. En bref, la politique budgétaire est très stimulante pour l’activité.

On a donc un « policy mix » où la politique monétaire est certes restrictive, mais avec un impact pour l’instant limité, et où la politique budgétaire pousse très fort pour aider la croissance. Le résultat est donc bien là, un ralentissement certes, mais qui reste modéré.

 

Favoriser les valeurs de croissance visible

Ce sont les entreprises de croissance et de qualité qui sont recherchées par les marchés. Au début du cycle économique, lorsque toutes les entreprises réaccélèrent, il faut favoriser celles qui ont été le plus pénalisées par le marché, qui ont une valorisation très faible et un potentiel de rebond fort. En cas de récession, il faut chercher des défensives avec une sensibilité faible au marché. Nous sommes plus dans une ambiance « fin de cycle », avec une croissance en berne mais pas d’accident. Dans ce cas, une stratégie appropriée est de favoriser ce que nous appelons les compounders, des entreprises capables, malgré l’environnement médiocre, de générer de la croissance de manière stable. De même, en fin de cycle, les rares entreprises qui arrivent à maintenir ou accroître leurs marges sont très recherchées.

Mervyn King, l’ex-gouverneur de la Banque d’Angleterre, disait « un banquier central qui a du succès est un banquier central ennuyeux ». La croissance modérée des Etats-Unis est une bonne nouvelle par rapport à ce que l’on aurait pu craindre, mais elle conduit à la même conclusion : le temps des valeurs risquées, cycliques ou de faible qualité est passé, il vaut mieux se concentrer sur les dossiers qui offrent croissance et visibilité.