Préférences durables : l’épreuve du feu

05/07/2021 - source : Profession CGP

Par Nathaële Rebondy, Head of Sustainability pour l’Europe chez Schroders

Dans le bouquet réglementaire de la Commission européenne du 21 avril dernier, deux actes délégués prévoient de modifier les règles Mifid et IDD (Insurance Distribution Directive) pour intégrer la prise en compte des préférences en matière d’investissement durable des particuliers lors de l’évaluation de leur profil d’investisseur et de leur appétence au risque. Bien que son entrée en vigueur soit prévue pour la fin d’année 2022, cette nouvelle composante du test d’adéquation suscite, à juste titre, d’intenses réflexions chez les acteurs du monde de l’investissement, étant donné  son caractère fondamental pour l’avenir des placements.

Recueillir les préférences en matière de durabilité des clients finaux afin de leur proposer une offre adéquate est totalement en ligne avec l’objectif européen : flécher les investissements vers des solutions contribuant à la transformation vers une économie verte, plus résiliente et plus circulaire. Il faudra ainsi que les investisseurs définissent la proportion minimale d’investissements alignés avec la taxonomie européenne, ou celle d’investissements durables au sens de SFDR, ou encore la prise en compte des externalités négatives des investissements sur l’environnement ou la société.

Ne pas « décevoir » des attentes potentiellement élevées

Néanmoins, les concepts sur lesquels reposeront ces préférences ne sont pas familiers aux investisseurs particuliers, qu’il s’agisse de la taxonomie ou de la prise en compte des principaux impacts négatifs (Principle Adverse Impacts ou PAI) sur les facteurs de durabilité. De plus, actuellement, une proportion très minoritaire d’investissements potentiels est effectivement alignée avec la taxonomie. Et ce n’est qu’en 2023 que l’ensemble des critères sera disponible.

Il faut donc s’assurer de prévoir un questionnement des clients finaux qui soit lisible et en phase avec l’expression naturelle des préférences des investisseurs, suffisamment précis pour éviter tout risque d’éco-blanchiment, capable de répondre à des demandes potentiellement très diverses et enfin en phase avec la réalité du marché pour ne pas « décevoir » des attentes potentiellement élevées. Sans compromettre non plus le profil de risque des clients ni exposer tous ceux qui exprimeraient des préférences aux mêmes segments de marché et donc au risque de bulle sur un petit nombre d’actifs.

Le défi est de taille, mais l’enjeu crucial, étant donné l’importance des enjeux environnementaux et sociaux auxquels nos économies font face. Sociétés de gestion et distributeurs doivent travailler main dans la main pour définir la meilleure façon d’appréhender les attentes des investisseurs et de proposer, adapter ou concevoir les offres qui y répondent.

Au-delà des calculs d’alignement à la taxonomie et de pourcentages d’investissements durables, par exemple ceux permettant de contribuer à un ou plusieurs des objectifs de développement durable définis par l’Onu, la question des PAI semble la plus complexe à manipuler. En effet, le texte européen fait mention de potentielles catégories d’impacts, de la manière dont ils sont pris en compte et d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Cette flexibilité potentielle est bienvenue car elle permet de prendre en compte la nécessaire transition de nombreuses entreprises et leur accompagnement dans le temps, mais rend également plus complexe la codification d’indicateurs qualitatifs pour démontrer aux investisseurs le bien-fondé de la démarche.

Un challenge de taille pour les distributeurs

Pour résumer, le défi consiste à trouver le juste équilibre entre spécificité et flexibilité, face à un sujet complexe et multidimensionnel. Mais il est important de garder à l’esprit l’objectif ultime, qui est de permettre aux investisseurs de déterminer la direction de leur épargne.

Un travail pédagogique sera probablement déterminant dans l’échange entre conseillers et particuliers. L’édition 2020 de l’enquête Schroder Global Investor Study que nous menons chaque année auprès des investisseurs finaux dans le monde montre que ces derniers comptent largement sur leur conseiller pour leur apporter les connaissances financières dont ils ont besoin.

Selon 61 % des personnes interrogées, les conseillers financiers ont le devoir de s’assurer que les investisseurs disposent d’un niveau suffisant de connaissances financières. Lorsque l’on se penche sur la manière dont cette dynamique joue dans le contexte de l’investissement durable, on constate que 65 % des participants évoquent le thème de l’investissement durable avec leurs conseillers, mais que 45 % regrettent ne recevoir des informations que sur demande, tandis que seuls 16 % sont informés spontanément.

En Europe, les conseillers financiers semblent être moins enclins à aborder d’eux-mêmes la discussion sur l’investissement durable que dans les autres régions. Ainsi, seuls 28 % des investisseurs disent recevoir des informations à ce sujet fréquemment. En comparaison, cette proportion atteint 38 % en Asie et 37 % sur le continent américain.

Pour la France, où 65 % également des investisseurs ayant répondu à notre enquête l’an dernier affirment échanger occasionnellement ou fréquemment avec leur conseiller sur ce sujet, une majorité (53 %) indique être à l’origine de la conversation et seulement 24 % affirment que leur conseiller aborde fréquemment ce sujet. Il faut également noter que plus les particuliers s’estiment avancés dans leurs connaissances financières, plus le sujet est fréquemment abordé avec leur conseiller.

L’enquête 2021 nous dira si les choses évoluent déjà en prévision de ces nouvelles règles, et si les sujets de durabilité sont désormais une composante naturelle des échanges. Néanmoins, ces chiffres semblent donner raison aux décideurs politiques d’intégrer la prise en compte des préférences durables des particuliers dans la réglementation.