Robeco - Analyse de marchés - Inflation : des facteurs psychologiques aux prévisions

24/07/2023 - source : Patrimoine 24

Les prévisions d’inflation étant essentielles pour évaluer les futurs rendements obligataires, nous avons récemment organisé notre troisième Journée annuelle de l’inflation, durant laquelle nous avons invité des experts pour discuter de la probable trajectoire de la hausse des prix. Voici ce que nous en avons retenu.

L’aspect psychologique est considéré comme un déterminant essentiel du risque d’inflation élevée persistante

La perspective d’une inflation sous-jacente élevée et persistante semble largement partagée

Les banques centrales feront probablement preuve de prudence dans la lutte contre l’inflation

Lors de nos deux premières Journées de l’inflation, nous avions mis l’accent sur les moteurs spécifiques de l’inflation, notamment les chocs de l’offre, les prix de l’énergie, les marchés du travail et les tendances de fond telles que la mondialisation (ou la relocalisation) et le vieillissement.

Cette année, nous nous sommes concentrés sur la probable trajectoire de l’inflation dans les 12 prochains mois. Des spécialistes externes ont été invités à échanger sur la question de savoir si, dans l’année à venir, l’inflation va retrouver les niveaux cibles fixés par les banques centrales (ou pas). Nous aimerions remercier Stephen King (HSBC), Bruce Kasman (JP Morgan) et Bhanu Baweja (UBS) pour leurs contributions précieuses.

L’importance de la psychologie

Peut-être que le principal message à retenir est que tous les intervenants ont souligné l’importance de la psychologie en matière d’inflation. En effet, après presque deux ans de forte augmentation des prix, les ménages, les entreprises et les banques centrales commencent à envisager différemment la menace inflationniste. Un autre enseignement important est que la perspective d’une inflation plus élevée et plus tenace fait largement consensus. Précisons ici qu’il nous a été difficile de trouver un seul intervenant convaincu que les importants resserrements monétaires entrepris jusqu’à présent suffiraient à faire reculer l’inflation. Même si nous partageons les craintes de ce consensus, nous aimerions souligner que les prix des matières premières (alimentation et énergie en particulier) laissent présager une nouvelle désinflation générale à l’avenir. De plus, les chaînes d’approvisionnement continuent de s’améliorer, ce qui devrait être de bon augure pour les prix des matières premières. Enfin, le risque latent de récession est un potentiel moteur de désinflation, ont relevé nos trois intervenants.

Ci-dessous, nous présentons plus en détail les principaux moteurs d’inflation évoqués pour les 12 prochains mois en nous basant sur un scénario d’inflation supérieure à l’objectif et un scénario d’inflation inférieure.

Scénario d’une inflation supérieure à l’objectif

La combinaison des mesures budgétaires agressives, des programmes d’assouplissement monétaire, des interruptions des chaînes d’approvisionnement et des restrictions de circulation non appliquées ont amené les analystes à modifier le niveau de confiance qu’ils avaient, avant le Covid-19, dans la capacité des banques centrales à respecter les objectifs d’inflation. Si bien que nous avons eu du mal à trouver quelqu’un de convaincu par un retour aux objectifs de l’inflation sous-jacente dans les 18 mois à venir sans provoquer d’effondrement brutal.

Il est plus raisonnable de réfléchir aux conséquences de ces perturbations, à savoir les demandes persistantes de hausses salariales (en particulier en Europe), les inadéquations actuelles sur le marché du travail et la confiance exagérée dans des modèles désormais obsolètes qui ont ignoré le dynamisme potentiel des perspectives d’inflation. Résultat, les mécanismes de régulation des banques centrales des pays du G7 qui existaient avant la pandémie ne sont peut-être plus adaptés, et les conséquences politiques qui devraient résulter des mesures d’austérité budgétaire prises pour répondre aux chocs d’inflation post-pandémie compliquent encore les choses.

L’inflation, un processus de découverte

À l’ère post-Covid-19, les réactions publiques face à l’inflation élevée sont allées de l’ignorance et du déni à la surprise et à l’acceptation. Nous atteignons à présent le prochain niveau d’adaptation mentale aux évolutions des prix. L’inflation, en particulier quand elle est à un niveau quasiment nul et qu’on l’oublie, comme ce fut le cas depuis la crise financière de 2008, est en effet un processus de découverte. La plupart des gens actuellement engagés dans la vie économique n’ont pas connu de période aussi longue d’augmentation des prix et des taux d’intérêt. Ils sont donc en train de se réveiller et de modifier leurs attentes.

Ces dernières années, les augmentations successives des chiffres de l’inflation ont créé des références à court terme qui renvoie les temporalités de long terme aux années 1970, 1980 et/ou à la stagflation. Nous avons vu l’inflation augmenter dans des secteurs pourtant non frappés par les chocs de l’offre pendant la pandémie, simplement parce que les discours sur l’inflation se sont propagés via divers canaux médiatiques. Ce processus a créé de l’anxiété et de la peur, et conduit à un accroissement rapide des inquiétudes sociales et politiques. Même si l’inflation générale venait à diminuer, les revendications salariales pourraient persister – et donc maintenir l’inflation sous-jacente élevée et limiter la baisse de l’inflation globale.

Les banques centrales sentent que ça chauffe

Même si les potentiels risques politiques ont suscité des réponses pro-actives comme celle de la Banque du Canada et de la RBA australienne, pour bien d’autres banques centrales, l’inflation élevée réactive une peur latente par rapport à leur indépendance. Et notamment une réticence apparente à l’idée de nuire aux perspectives de croissance à court terme, par peur de s’exposer à des représailles politiques, en particulier dans les contextes polarisés comme en Europe centrale et orientale. Certes, les banques centrales qui tolèrent de légers dépassements de l’objectif d’inflation pourraient favoriser la consolidation budgétaire post-Covid-19.

Enfin, les travaux académiques portant sur les réactions des entreprises face au pouvoir d’achat retrouvé montrent qu’il existe un risque d’incitations contradictoires qui attiseraient davantage les poussées inflationnistes. Plus spécifiquement, les sociétés qui tablent sur des augmentations de prix risquent d’être pénalisées par les investisseurs (baisse du cours de l’action), ce qui induirait directement des effets de richesse négatifs pour le management. Résultat, si les taux d’intérêt réels sont plus élevés qu’au cours des dernières décennies, ils sont peut-être encore trop faibles pour faire face aux problèmes d’inflation à venir.

Scénario d’une inflation conforme à l’objectif

Bien sûr, il existe aussi un scénario d’inflation inférieure à l’objectif. Voici les trois tendances qui suggèrent une décélération de l’inflation. Premièrement, l’aspect psychologique semble évoluer. Au lieu d’escompter un rythme encore plus rapide d’augmentation des prix, les enquêtes montrent que l’opinion du grand public devient désinflationniste. L’inflation perçue pourrait jouer un rôle ici. Certains composants de l’inflation sont plus visibles que d’autres, par exemple les prix des carburants ou de l’alimentation.

Alors que ces catégories de prix sont considérées comme moins pertinentes pour le cycle, elles influencent les prévisions d’inflation à court terme. Ainsi, les attentes à 12 mois ont baissé et les enquêtes réalisées auprès des consommateurs, aux États-Unis comme dans la zone euro, indiquent à présent des attentes de 4 % ou moins, ce qui est désormais inférieur aux niveaux de croissance des salaires.

Les travaux de la Fed suggèrent que les prévisions d’inflation influencent les revendications salariales. Si cette tendance récente se poursuit, cela pourrait atténuer les éléments moins variables de l’inflation, via une moindre croissance des salaires. Un phénomène qui pourrait être renforcé si les prix des aliments et de l’énergie poussent l’inflation sous-jacente à la baisse dans les prochains trimestres.

L’effet différé de la stabilisation des loyers

Une raison pour laquelle l’inflation (américaine) pourrait ralentir est la répercussion différée de la baisse des augmentations de loyer. C’est le cas aux États-Unis, où les nouveaux baux de location commencent à afficher des augmentations de prix bien plus faibles depuis le deuxième trimestre 2022. Cependant, l’effet sur les loyers est partiel ou différé de 3-4 trimestres dans le panier de l’IPC.

Les recherches menées par les instituts de statistiques tels que le Bureau of Labor Statistics signalent un effet désinflationniste de cette catégorie depuis octobre 2022, un résultat confirmé récemment. Compte tenu de la part importante du loyer dans les paniers de l’IPC, en particulier outre-Atlantique, tout élément qui diminue dans cette catégorie peut facilement conduire à une baisse de 1 à 2 % de l’inflation.

Amélioration des chaînes d’approvisionnement

Les chaînes d’approvisionnement ont peut-être été modifiées à jamais par le Covid-19, mais de nombreux biens qui étaient devenus rares pendant et juste après la pandémie sont désormais bien plus faciles à obtenir. C’est le cas par exemple des voitures. Les niveaux de production reprennent rapidement et les stocks sont reconstitués, notamment aux États-Unis, devant l’Europe.

Résultat, le dynamisme normal du marché, avec ses offres spéciales, retrouve progressivement son niveau. Dans les catégories de biens comme celles-ci, qui ont été une importante source d’inflation en 2021-2022, nous pourrions même observer des baisses de prix.

Conclusions et conséquences pour les marchés

Comme indiqué précédemment, notre troisième Journée annuelle de l’inflation a été l’occasion pour nos trois invités de souligner l’importance de la psychologie des ménages et des entreprises, considérée comme un risque crucial en matière de spirales prix-salaires.

Ils ont également évoqué la psychologie des banques centrales qui, après avoir sous-estimé l’inflation pendant presque deux ans, semblent actuellement hésiter à imposer une politique monétaire basée sur les futures prévisions d’inflation (c’est-à-dire prospectives), préférant utiliser les tendances actuelles de l’inflation sous-jacente (c’est-à-dire légèrement rétrospectives).

Concernant la psychologie des analystes, le point de vue « plus d’inflation sous-jacente pendant plus longtemps » semble faire largement consensus. Néanmoins, alors que nous évaluons les pour et les contre de la situation présentée ci-dessus, nous attribuons une probabilité légèrement plus importante à un scénario dans lequel une inflation générale et une croissance économique plus faibles, combinées à un nouveau resserrement monétaire, parviendront, dans de nombreuses économies, à orienter l’inflation générale vers les objectifs cibles d’ici à la fin de l’année.

Une chose est sûre, c’est que les différences régionales devraient rester importantes, et certaines régions (Europe de l’Est) et pays (Royaume-Uni) seront probablement à la traîne dans ce processus, ou auront des difficultés à générer suffisamment de pression sur l’inflation sous-jacente (Chine). Quant aux perspectives d’inflation sur un horizon à long terme (plutôt que cyclique), pour lesquelles les moteurs tels que la productivité, le vieillissement, le numérique, la robotisation et l’intelligence artificielle, et les chaînes de valeur mondiales ont été considérés comme les plus importants, nous restons modestes (car nous faisons partie de ceux qui avaient sous-estimé la menace inflationniste il y a deux ans). En outre, il convient de noter que l’incertitude quant à la trajectoire de l’inflation américaine dans les cinq années à venir, selon le marché des options, n’a jamais été aussi élevée depuis 10 ans.

Cela dit, quand on compare les spreads prospectifs entre les rendements des obligations à long terme classiques et les obligations adossées à l’inflation dans la zone euro (presque 2,80 %), et l’objectif d’inflation de la BCE de 2 %, nous ne pouvons nous empêcher de penser que les marchés financiers se sont peut-être un peu précipités en adoptant un régime durable d’inflation accrue. En effet, l’inflation extrapolée pourrait également jouer un rôle pour les investisseurs.

 

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