Vontobel - Pourquoi investir dans Apple pourrait laisser un goût amer

06/04/2022 - source : Patrimoine 24

Grâce à une innovation et à une croissance constantes, Apple affiche depuis plusieurs années de solides performances financières et boursières, qui lui ont permis de devenir récemment la première entreprise à atteindre une capitalisation de 3.000 milliards USD.

Peter ChoiSi la franchise unique créée par l’entreprise grâce à son écosystème mobile suscite l’admiration, il convient d’examiner pourquoi, du point de vue d’un investisseur, Apple peut ne pas avoir sa place dans un portefeuille axé sur les valeurs de croissance de qualité. Certains facteurs peuvent faire obstacle à l’investissement actuellement :

• l’incertitude concernant la croissance future de l’iPhone, qui arrive à la fin d’un « super cycle » ;

• un historique mitigé en termes de lancement de nouveaux services, conjugué aux risques réglementaires pesant sur le modèle d’App Store actuel ;

• la nature plus spéculative des marchés pour les nouveaux produits potentiels au-delà des smartphones ;

• la valorisation peu attrayante d’Apple au regard des perspectives de croissance et des facteurs de risque.

L’iPhone peut-il continuer à générer de la croissance à l’issue d’un super cycle ?

Unanimement reconnue comme l’une des marques les plus iconiques au monde, Apple a révolutionné le marché des smartphones avec le lancement de son premier iPhone il y a 15 ans. Aujourd’hui, c’est l’un des outils technologiques personnels les plus répandus, avec plus d’un milliard d’utilisateurs.

L’iPhone reste le cœur d’activité d’Apple, dont il représente un peu plus de la moitié du chiffre d’affaires total. 2021 a été une année record pour le produit vedette du groupe, qui a vu ses ventes progresser de 39% par suite d’un cycle de mise à niveau de grande ampleur avec l’arrivée de l’iPhone 12, qui a marqué le premier changement majeur apporté à l’aspect extérieur du smartphone depuis le lancement de l’iPhone X en novembre 2017. En général, un tel relooking pique la curiosité des consommateurs, et génère également des opportunités supplémentaires en termes de monétisation. Ainsi, le prix de vente moyen de l’iPhone a augmenté de 11% au cours de l’exercice 2015 à la suite du lancement de l’iPhone 6 et de sa version Plus, dotée d’un écran plus large. L’iPhone X, l’édition du dixième anniversaire, a été le premier à dépasser la barre des 1.000 USD, ce qui s’est traduit par une hausse de 17% du prix de vente moyen lors de l’exercice 2018. Dans la mesure où Apple ne communique plus les volumes exacts de ses ventes d’iPhone, il est plus difficile d’effectuer des calculs de prix précis. Cependant, on estime que le prix de vente moyen de l’iPhone a augmenté de 15 à 20% au cours de l’exercice 2021.

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Outre le cycle du produit, les ventes d’iPhone ont vraisemblablement aussi bénéficié d’une évolution sans précédent des comportements d’achat dans le contexte de la pandémie. Le passage au télétravail a fait grimper la demande de smartphones, mais aussi d’autres catégories comme les ordinateurs portables et les iPads. Dans le même temps, les mesures d’aide gouvernementales ont dopé les dépenses de consommation, qui ont été consacrées à l’achat de biens tant que le secteur des services restait à l’arrêt. L’électronique grand public a été l’un des principaux bénéficiaires de cette évolution.

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En définitive, nous entrevoyons le risque d’un ralentissement de la croissance des ventes d’iPhone, qui pourrait retomber à des niveaux plus modestes. Non seulement l’entreprise arrive au terme d’un cycle de produit plus vaste, mais les comportements d’achat adoptés durant la pandémie devraient également être abandonnés. Les smartphones sont des produits matures qui font intervenir des considérations discrétionnaires compte tenu de leur prix d’achat élevé et de leur taux de renouvellement annuel relativement faible. Si l’innovation se poursuit à un rythme soutenu en ce qui concerne les appareils photo, elle est plus progressive dans d’autres domaines (processeurs, écrans, encoches plus petites). Au vu du prix du modèle haut de gamme, l’iPhone 13 Pro Max, qui va de 1.099 à 1.599 USD, les consommateurs pourraient procéder à des renouvellements moins fréquents si l’économie ralentit et qu’ils doivent revoir leurs dépenses à la baisse. Il pourrait en être de même pour l’iPad et le Mac, qui ont eux aussi enregistré une demande en forte hausse durant la pandémie. Bien qu’elles génèrent des marges moins élevées que l’iPhone, ces franchises n’en représentent pas moins près de 20% du chiffre d’affaires d’Apple, et elles pourraient être à l’origine d’une nouvelle poussée de la demande, notamment de la part des ménages.

Le modèle App Store plombé par une offre de services terne et des risques réglementaires

Dans la mesure où les smartphones ont atteint la phase de maturité, les services jouent un rôle de plus en plus important dans l’évaluation du bien-fondé d’un investissement dans Apple. Au cours de l’exercice 2021, les services ont représenté 19% du chiffre d’affaires de la marque et affiché un taux de croissance de 27%. Du fait d’un profil de marge supérieur à celui des appareils, ils ont contribué à hauteur de 31% au bénéfice brut en dollars. Les produits Apple se distinguent principalement par la grande interopérabilité entre les équipements et le système d’exploitation. Bien qu’il soit naturel qu’Apple offre des services supplémentaires en plus de la plateforme iOS et de ses services natifs, comme iCloud (stockage en ligne) et Apple Care (extension de garantie), les nouveaux services proposés par la marque à la pomme n’ont rencontré qu’un succès mitigé.

Des produits comme Apple Music et Apple TV+ ont certes enregistré un nombre relativement élevé d’abonnements en termes absolus, du fait en partie de la possibilité offerte aux utilisateurs d’iOS de bénéficier de périodes d’essai gratuites, mais la concurrence est rude, et il est difficile de penser que l’un ou l’autre de ces produits puisse ravir une part de marché importante aux leaders du secteur. Selon le cabinet d’études MIDiA, Apple Music représentait 15% du marché mondial des services de streaming musical au deuxième trimestre 2021, loin derrière Spotify (31%) et avec une courte longueur d’avance sur Amazon Music (13%) et YouTube Music (8%). The Information, une publication spécialisée dans la technologie, a récemment recensé quelque 40 millions de comptes Apple TV+, dont une moitié d’abonnements payants, ce qui place Apple loin derrière Netflix, Disney, Amazon et HBO, autant d’acteurs disposant d’amples ressources et faisant montre d’une solide motivation. Hormis le succès remporté par la série Ted Lasso, le service n’est pas parvenu à se démarquer, si ce n’est en termes de programmation socialement responsable, et Apple enregistre des taux d’utilisation et d’attrition nettement moindres que ceux des leaders du secteur. Le streaming génère par essence des marges faibles et, à notre avis, Apple devrait rester un acteur de second plan dans ce domaine à court terme. Partant, malgré l’attention qui leur est portée, il est peu probable que ces activités changent la donne pour une entreprise qui a réalisé un chiffre d’affaires de 365 milliards USD et dégagé une marge opérationnelle de 30% lors de son dernier exercice.

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L’App Store iOS et la publicité sont les principaux moteurs de la rentabilité des services d’Apple. Au travers de l’App Store, Apple prélève une commission de 30% sur les achats d’applications et les achats de produits numériques effectués via les applications présentes sur sa plateforme, pourcentage qui tombe à 15% à l’issue de la première année. Les revenus publicitaires sont principalement constitués des droits payés par Google pour être proposé comme moteur de recherche par défaut dans le navigateur Safari. Les marchés boursiers ont récompensé Apple pour sa capacité à générer aussi rapidement des flux de revenus à forte marge aussi importants. Cependant, la rentabilité des services dépend moins de la valeur ajoutée procurée aux utilisateurs que des frais facturés par Apple dans le cadre de son écosystème iOS. Si l’on peut y voir en une preuve de la puissance d’Apple et de sa capacité à monétiser sa clientèle, les régulateurs pourraient eux le voir d’un autre oeil.

Dans un monde où les smartphones sont devenus omniprésents, l’iPhone représente désormais l’une des plateformes informatiques les plus importantes. Cependant, contrairement aux plateformes précédentes, comme les ordinateurs personnels, Apple garde la mainmise sur l’évolution de l’écosystème de son smartphone. En effet, l’entreprise décide seule des applications autorisées au sein de celui-ci, contrôle leur unique canal de distribution (l’App Store) et régule les types d’activités autorisées dans le cadre des applications, en prélevant une commission de 30% sur ce qu’elle considère être du commerce numérique.

L’écosystème mobile d’Apple reflète clairement la solidité du modèle d’affaires mis en place par l’entreprise au cours des 15 dernières années. iOS est l’un des deux principaux systèmes d’exploitation mobiles, et le plus rentable du fait de son intégration verticale avec les produits de la marque et du positionnement haut de gamme de celle-ci. Toutefois, ce contrôle à la fois financier et opérationnel pourrait être jugé abusif par les gouvernements, qui considèrent les smartphones comme la dernière génération d’ordinateurs.

Les politiques régissant le fonctionnement de l’App Store a déjà attiré l’attention de plusieurs régulateurs à travers le monde. En Asie, la Federal Trade Commission japonaise a ouvert une enquête sur le marché des systèmes d’exploitation mobiles, tandis que le gouvernement coréen a récemment adopté une loi imposant aux boutiques d’applications d’autoriser d’autres moyens de paiement que ceux intégrés aux applications. En Europe, la commission antitrust de l’UE a fait valoir dans une conclusion préliminaire qu’Apple faussait la concurrence en imposant l’utilisation de son système d’achat intégré.

Outre ces enquêtes antitrust, l’UE met actuellement la dernière main à sa loi sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), qui réglementera de manière plus préemptive le fonctionnement de certaines plateformes numériques, y compris les systèmes d’exploitation. En l’état actuel, la DMA prévoit explicitement d’autres formes de distribution des applications (y compris via des boutiques tierces) ainsi que des systèmes de paiement tiers. Enfin, s’il est possible que les États-Unis soient moins prompts que d’autres pays à adopter une législation antitrust élargie, nous notons que le Congrès, toutes tendances confondues, a montré un plus vif intérêt pour l’Open Markets Act, qui prévoit là encore d’autoriser des boutiques d’applications et des systèmes de paiement tiers.

Il ne s’agit là que des premières initiatives en vue de réglementer les boutiques d’applications, et les efforts en la matière peuvent évoluer dans de nombreuses directions. Il se peut en outre que le calendrier de mise en œuvre de ces projets soit étendu et qu’Apple parvienne à compenser l’impact financier de ces mesures en monétisant ses droits de propriété intellectuelle d’une autre manière. Toutefois, force est de constater que de nombreux gouvernements partagent les mêmes préoccupations à l’égard des boutiques d’applications, en particulier quant au contrôle opérationnel et financier exercé par Apple sur une plateforme informatique aussi indispensable que l’iPhone – contrôle qu’ils souhaitent voir partagé. On peut imaginer la réaction des pouvoirs publics si Microsoft ou IBM avaient tenté de mettre en place de telles politiques pour les PC Windows ou les macroordinateurs. S’il est prématuré d’y voir les prémices d’une nouvelle réglementation de grande ampleur, nous pensons que le marché se montre complaisant à l’égard du risque potentiel que cela représente pour une composante aussi importante de la croissance d’Apple.

La rentabilité des services d’Apple tient en second lieu aux revenus publicitaires, qui proviennent principalement des droits payés par Google pour être proposé comme moteur de recherche par défaut dans Safari. Ce flux de revenus constitue de fait un profit pur, qui plus est en croissance rapide. Cependant, il serait étrange d’investir dans Apple afin de s’exposer à Google, sachant qu’il est possible pour ce faire d’investir dans Alphabet. Selon des analystes de Sanford Bernstein, l’App Store et la publicité ont globalement contribué à hauteur d’environ 75% au bénéfice brut en dollars de l’entreprise, ce qui témoigne des difficultés rencontrées par Apple pour établir ses services, malgré sa position sur le marché, et souligne l’importance pour le groupe de conserver son modèle d’App Store.

Quel sera le nouveau produit vedette ?

L’un des principaux arguments plaidant en faveur d’Apple est sa capacité à s’implanter sur de nouveaux marchés. L’entreprise s’intéresse depuis longtemps à l’automobile, secteur dans lequel elle développe son propre programme de véhicules électriques – le projet Titan – depuis 2014. Les voitures représentent un marché final intéressant pour Apple, du seul fait des dépenses de consommation qui y sont consacrées, mais aussi de la numérisation croissante des véhicules. Cependant, le projet Titan a semble-t-il connu de nombreux changements de direction et d’orientation stratégique au fil des années.

De récents articles de presse indiquent qu’Apple s’emploie actuellement à développer sa propre voiture entièrement autonome, avec un lancement prévu dès 2025. Nous sommes quelque peu sceptiques à cet égard, en premier lieu car les difficultés rencontrées dans le cadre des projets de conduite autonome se sont toujours avérées plus importantes que prévu, ce qui s’est souvent traduit par des dépassements de délais. Aussi ne serions-nous pas surpris si l’entreprise devait annoncer un report de cinq ans en 2025. En outre, la conception d’une voiture autonome est autrement plus complexe que les autres projets dans le pipeline d’Apple. Malgré l’attrait évident pour la marque à la pomme, cela requiert des compétences différentes, et nous ne voyons pas comment l’entreprise pourrait être à la pointe dans ce domaine.

D’importants développements sont également attendus dans le domaine de la réalité virtuelle et augmentée, le métavers faisant notamment l’objet d’une attention et d’une médiatisation de plus en plus importantes. Pour l’heure, le métavers reste un concept nébuleux à nos yeux, dont chacun semble avoir sa propre interprétation, bien que d’aucuns s’accordent à y voir un monde numérique persistant et plus immersif. Quoi qu’il en soit, la perspective d’un métavers unique réunissant tout un chacun, individus comme entreprises, nous paraît par trop utopique et devrait selon nous rester du domaine de la science-fiction. Il semble plus probable que certains aspects d’une expérience virtuelle de type métavers soient intégrés dans différents services numériques au fil du temps.

Contrairement aux véhicules autonomes, la réalité virtuelle et la réalité augmentée sont plus proches du métier d’Apple, centré sur la technologie existante, avec ses smartphones et son système d’exploitation mobile, ainsi que sur sa base d’utilisateurs d’iPhone. Des deux technologies, la réalité virtuelle est la plus avancée, mais elle reste encore confidentielle, car les casques sont encombrants et isolent l’utilisateur de son environnement physique, ce qui les rend peu pratiques et plus adaptés à des applications spécifiques. La réalité augmentée est promise à des applications plus larges, car elle permet aux utilisateurs de garder le contact avec le monde réel. Cependant, la technologie est encore balbutiante, et selon nos estimations, une paire de lunettes de réalité augmentée pourrait coûter au départ plusieurs milliers de dollars. Aussi devrait-elle s’adresser dans un premier temps plus aux entreprises qu’au grand public. On s’attend depuis un moment à ce qu’Apple lance un casque de réalité virtuelle. La presse avait évoqué la possibilité d’un lancement en 2020, mais l’échéance a dû être reportée à début 2023, tandis que le lancement de lunettes de réalité augmentée est désormais prévu en 2024/25. En définitive, si la réalité virtuelle et la réalité augmentée présentent un potentiel auquel il convient de rester attentif, l’imagination a semble-t-il devancé la réalité en ce qui concerne le rythme de développement potentiel de ces marchés.

Une valorisation plus onéreuse que celle d’autres acteurs technologiques à plus forte croissance

Apple est une franchise technologique de premier plan solidement établie sur le marché grâce à son système d’exploitation mobile, le plus performant économiquement parlant. Cependant, malgré la qualité du modèle d’affaires, la valorisation du titre a selon nous été gonflée par un enthousiasme démesuré. Au cours des dernières années, le PER s’est envolé, passant d’environ 15 à plus de 30x lors de la pandémie (voir la figure 4). Si un certain ajustement se justifie compte tenu de la solidité de la franchise, la valorisation nous paraît désormais excessive. L’action Apple se négocie actuellement sur la base de multiples similaires, voire supérieurs à ceux d’autres méga-capitalisations technologiques, malgré des perspectives de croissance séculaire moins attrayantes (la figure 5 ci-dessous montre une comparaison des PER par rapport aux perspectives de croissance du chiffre d’affaires et du BPA établies sur la base des estimations du consensus sell-side).

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Selon nous, l’impact des changements réglementaires potentiels sur le modèle d’App Store est sous-évalué, tandis que les perspectives en termes de nouveaux produits restent obscures. En outre, les tensions géopolitiques, qui ont pesé sur les activités en Chine d’autres multinationales américaines, représentent également un risque pour Apple. L’entreprise réalise 19% de son chiffre d’affaires dans la région de la Grande Chine, où elle va également chercher une grande partie de ses approvisionnements. Ces facteurs de risque sont sous-évalués, et pourraient s’avérer difficiles à gérer. Si nous ne remettons pas en question la solidité du modèle d’affaires d’Apple, nous continuons d’observer un décalage entre la valorisation du titre et le potentiel de croissance de l’entreprise. Selon nous, d’autres grandes capitalisations technologiques offrent un meilleur profil de rendement ajusté du risque et des perspectives de croissance plus durables aux investisseurs axés sur la croissance de qualité.

Par Peter Choi, Senior Research Analyst

 

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